Extrait du Journal officiel de la République française des 24 Octobre et 8 Novembre 1902
DISCOURS
PRONONCÉS PAR
M. HENRI WALLON
SÉNATEUR
SÉANCES DU SÉNAT DES 23 OCTOBRE ET 7 NOVEMBRE 1902
ABROGATION DE LA LOI DU 12 JUILLET 1875
sur l'enseignement supérieur
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PARIS
IMPRIMERIE DES JOURNAUX OFFICIELS
31, QUAI VOLTAIRE, 31
1902
Extrait du Journal officiel de la République française
des 24 Octobre et 8 Novembre 1902
DISCOURS
PRONONCÉS PAR
M. HENRI WALLON
SÉNATEUR
SÉANCES DU SÉNAT DES 23 OCTOBRE ET 7 NOVEMBRE 1902
ABROGATION DE LA LOI DU 12 JUILLET 1875
SUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
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PARIS
IMPRIMERIE DES JOURNAUX OFFICIELS
31, QUAI VOLTAIRE, 3
1902
Extrait du Journal officiel de la République française
des 24 Octobre et 8 Novembre 1902
DISCOURS
PRONONCÉS PAR
M. HENRI WALLON
SÉNATEUR
SÉANCE DU SÉNAT DU 23 OCTOBRE 1902
M. le président. La parole est à M. Wal­lon.
M. Wallon. Messieurs, le rapport de M. Maxime Lecomte sur la proposition de loi qu'il a signée avec un grand nombre de ses collègues tend à faire entrer le Sénat dans une voie tout exceptionnelle. Déro­geant à la règle parlementaire qui renvoie aux bureaux les propositions de loi, on de­mande qu'une question d'un intérêt éminem­ment national soit traitée comme une sim­ple affaire d'intérêt local ; or eut, en un
tour de main, enlever la proposition sur l'en­seignement supérieur à l'examen contradic­toire des bureaux, pour la renvoyer directe­ment à une commission que l'on paraît avoir des raisons de croire compétente, mais qui n'a pas reçu mandat pour cela.
La question de la liberté de l'enseigne­ment supérieur est, je le sais, du même ca­ractère que celle de la liberté de l'enseigne­ment secondaire : c'est une liberté, et on compte bien lui ménager le même sort.
C'est la même fin que l'on poursuit et ce sont les mêmes moyens que l'on y emploie. Un bloc de quatre-vingt-onze membres, à la suite de M, Bôraud, et un bloc de quatre-vingt-cinq membres, à la suite de M.Maxime Lecomte, deux blocs réunissant chacun un tiers du Sénat, bien faits, par leur masse, pour s'imposer à tous et ébranler toute ré­sistance ; puis deux blocs, non moins impo­sants, de républicains des plus notables, comme autorités, pour achever d'en triom­pher.
L'agglomération Béraud et l'aggloméra­tion Maxime Lecomte, comment elles se sont formées, je n'en sais rien et je ne cherche pas à le savoir, c'est l'affaire de chacun ; mais, pour les deux autres blocs les blocs d'autorités, c'est autre chose; j'y ai regardé. J'en ai donné la preuve lorsque
la proposition Béraud a été soumise à la prise en considération. J'ai dit alors que ces noms avaient été pris dans la liste des votants contre l'ensemble de la loi de 1850, et j'ai fait observer que cette loi contenait deux choses : la liberté de l'enseignement et l'organisation nouvelle de l'Université.
Ce qui touchait à l'Université ayant été supprimé dès les premiers temps de l'Em­pire, ce qui reste de la loi de 1850, c'est la liberté de l'enseignement secondaire. C'était donc purement et simplement l'enseigne­ment libre, dont M. Béraud et ses collègues demandaient la suppression.
M. Béraud. Je n'en demande pas la sup­pression.
M. Wallon. Or, parmi les autorités dont ils s'appuyaient à cette fin se trouvaient plu­sieurs de ceux qui s'étaient déclarés avec le plus de force en faveur de l'enseignement libre. J'en ai cité trois : Barthélémy Saint-Hilaire, Pascal Duprat et Victor Hugo ; et je n'ai pas seulement donné leurs noms, j'ai reproduit leurs déclarations mêmes, expres­sion forte et vibrante de leur pensée, qu'on n'avait pas eu l'idée d'aller chercher dans le texte officiel. C'est un avertissement qui aurait dû servir aux auteurs de la proposi­tion nouvelle dirigée contre la liberté de l'enseignement supérieur. J'ai le regret de
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comte de Tocqueville, Vacherot, Wadding-ton ; et parmi les membres actuels du Sénat : MM. Danelle-Bernardin et Reymond.
Je les énumère, afin que leurs noms se trouvent demain au Journal officiel et que chacun de vous puisse, comme moi, les re­trouver dans la liste des votants pour la liberté de l'enseignement supérieur à la séance du 8 juillet 1875. (Très bien ! à droite.)
Comment a-t-on pu se tromper ainsi ?
Je viens de dire que la loi du 12 juillet 1875 contenait deux choses : la liberté de l'enseignement supérieur et la collation des grades, et que le chapitre de la collation des grades ayant été supprimé, il ne s'agit plus aujourd'hui que de la liberté.
Où donc faut-il chercher ceux qui ont voté pour ou contre la liberté? Evidemment dans le scrutin du 8 juillet sur l'article 1er : « L'enseignement supérieur est libre. »
Et, en effet, dans le scrutin du 12 sul­l'ensemble de la loi (liberté d'enseignement et collation de grades) partisans et adver­saires de la liberté peuvent se trouver confondus, réunis par la même opposition au mode de collation des grades. Eh bien, c'est de ce scrutin du 12 juillet que M.Maxime Lecomte et ses collègues ont tiré indistinc­tement les noms constituant leurs auto-
dire qu'il n'en a rien été. L'honorable .M. Maxime Lecomte et ses collègues ont pro­cédé de la même façon que l'honorable M. Béraud. Gomme l'a loi de 1850, la loi de 1875 contenait deux choses fort distinctes : c'étaient la liberté de l'enseignement supé­rieur et la collation des grades. La collation des grades a été abrogée par la loi du 18 mars 1880.
Il ne s'agit plus maintenant que de la liberté de l'enseignement supérieur.
Or, parmi les cent membres environ qui figurent dans le bloc des autorités invo­quées par les signataires de la nouvelle proposition, il y en a trente-sept qui, dans le vote définitif en 3" lecture, ont voté en faveur de cette liberté. (Très bien! {rès bien ! à droite.)
J'en ai relevé les noms sur la liste donnée par nos collègues. Les voici : MM. Arnaud (de l'Ariège), Bardoux, Marcel Barthe,Beaus-sire, Bertauld, Casimir-Perier, Chardon, A. Christophle, Dietz-Monin, Duclerc, Ay-mard-Duvernay, Jules Favre, Feray, Jules Ferry, général Frébault, Germain, Humbert, amiral Jaurès, Lamy, Victor Lefranc, Emile Lenoël, Margaine, général Pelissier, Philip-poteaux, amiral Pothuau, de Pressensé, Rameau, comte Rampon, Robert de Massy, de Salvandy, comte de Sôgur, Jules Simon,
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termes d'orfèvrerie, deux tiers de fin et un tiers de faux (Sourires) ; non pas de faux té­moins — loin de là, ce sont les hommes les plus considérables — mais des témoins pris à faux. (Très bien! très bien! sur divers bancs.)
Je ne veux pas me borner, comme les au­teurs de la proposition, à donner des noms ; je veux, comme dans la discussion de la proposition précédente, produire des témoi­gnages irrécusables. Je les trouve dans chacune des trois délibérations de la loi de 1864.
Je reprendrai, s'il le faut, quand la ques­tion viendra au Sénat — si elle y revient — l'histoire de cette loi du 12 juillet 1875 dont j'ai suivi l'élaboration, comme membre de la commission, depuis l'origine en 1871, et, comme ministre, en 1875, jusqu'au vote final. Je me bornerai ici, pour démolir les assertions contraires, à vous faire entendre quelques-uns des principaux orateurs qui sont intervenus au débat, clans un sens en­tièrement opposé à celui qu'on leur prête
Et tout .d'abord, Paul Bert. Il prit le pre­mier la parole, dès la lre délibération, le 3 décembre 1874. Il signalait le grand intérêt de la question ; elle avait été résolue pour l'enseignement primaire et pour l'ensei­gnement secondaire en 1850 ; elle avait plus
rites, en leur donnant à tous la même va­leur. Us y sont tous, en effet; mais, dans le nombre, il y en a trente-sept qui, loin d'avoir voté contre la liberté, ont voté pour elle.
Pour le savoir, il n'y avait qu'à se re­porter au scrutin sur l'article 1er, où par­tisans et adversaires de la liberté se retrou­vent en deux listes face à face. C'est là, dans la liste des votants pour la liberté, que j'ai trouvé et que vous retrouverez leurs noms. Ces noms, que les auteurs de la pro­position ont invoqués, je les retourne contre eux pour les convaincre d'assertion erronée et leur en demander compte.
Je n'incrimine la bonne foi d'aucun de mes collègues ; mais il y a dans leur procédé un défaut de critique vraiment inquali­fiable. J'explique leur erreur, je ne l'excuse pas; car ils sont allés prendre ces noms dans un scrutin où ils auraient dû savoir qu'il ne fallait pas les chercher; et alors n'aurait-on pas le droit de dire : cette no­menclature dont on s'appuie ne manque pas seulement d'exactitude, elle manque de sincérité.
Je dis sincérité, messieurs ; que veut dire sincère, en effet? cela veut dire : pur de tout alliage. Or, dans ce bloc, je trouve qu'il y a 37 p. 100 d'alliage, c'est-à-dire, en
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d'importance encore pour l'enseignement supérieur.
« Pour ce qui est de la liberté, disait-il, j'ai la profonde conviction qu'il n'y a pas lieu à de longues discussions. Aux confins les plus extrêmes, aux deux pôles du monde politique, des voix s'élèvent, étonnées peut-être de leur accord momentané. »
Il ne voulait pas se demander si la solu­tion n'était pas spécialement réclamée par un parti qui n'était pas le sien : « Mais, ajoutait-il, je crois pouvoir dire pour quelles raisons le parti auquel j'ai l'honneur d'ap­partenir demande avec vous, non sans maintes et importantes différences dans les questions d'organisation, demande, dis-je, avec vous la proclamation et la mise à exé­cution des principes de la liberté de l'ensei­gnement supérieur. »
Il récriminait contre le passé : la liberté du professeur n'avait pas toujours été res­pectée, et il donnait pour exemple la sus­pension des cours de Michelet et de Quinet; mais une violation temporaire n'était pas l'abolition du droit, et ce droit avait pour lui une origine sacrée.
« Ce n'est point d'aujourd'hui,disait-il, que la question de la liberté de l'enseignement supérieur se pose ; elle n'appartient pas à ce siècle; c'est avec la Révolution qu'elle est
apparue pour la première fois. C'est dans la Déclaration des droits de l'homme que, pour la première fois, il est question de la liberté de l'enseignement,car elle y est com­prise dans « la communication de la pensée par tous les moyens possibles. »
Et il cite Condorcet dans son rapport à la Législative : « L'indépendance de l'instruc­tion est une partie des droits de l'homme. »
Il cite Daunou, dans son rapport à la Con­vention sur l'organisation de l'enseigne­ment public, signalant la nécessité de pro­clamer « la liberté des établissements par­ticuliers d'instruction ».
Il cite enfin la Convention elle-même, dans la loi du 29 frimaire an II, sur l'orga­nisation de l'instruction publique : arti­cle 1er : « L'enseignement est libre. »
« Voilà pourquoi, ajoutait-il, sur le ter­rain de la théorie, comme sur celui des faits, nous sommes partisans de la liberté de l'enseignement. »
Ajoutons nous-même qu'il faisait ses ré­serves :
« Il faut dire cependant, continuait-il, que lorsque toutes les Assemblées révolution­naires, depuis la Constituante jusqu'à la Convention, proclament la liberté de l'en­seignement à tous les degrés, elles procla­ment en même temps l'exercice de toutes
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Son projet était divisé en huit chapitres contenant 53 articles.
Inutile de dire qu'après avoir reconnu la nécessité d'établir la liberté de l'enseigne­ment supérieur, la condition qu'il mettait à son vote ayant tardé plusieurs années à s'ac­complir, il ne s'est pas trouvé en mesure de la voter. Son opinion n'en est pas moins précieuse à recueillir et Laboulaye, le rap­porteur, le fit en lui répondant :
« La commission, disait-il, s'est placée sur un terrain parfaitement défini. Nous n'avons voulu faire ni une accusation contre l'Uni­versité, ni favoriser un monopole quel­conque. Nous avons considéré que l'ensei­gnement était un droit de même nature que la liberté de parole et la liberté de cons­cience... (Très bien! à droite) ...et c'est sur ce terrain que nous appelons à nous toutes les opinions.
« Loin de nous la pensée de créer des di­visions nouvelles et de chercher dans cette Assemblée à nous opposer les uns aux autres; nous croyons que la liberté est l'in­térêt de tous et le profit de tous. » (Très bien! très bien! à droite et au centre.)
Cette lrc délibération fut marquée encore par les discours de Beaussire, de l'évêque d'Orléans (Mgr Dupanloup), de Challemel-Lacour et de Bardoux.
les autres libertés, sans lesquelles la liberté de l'enseignement seule est un leurre. » (Très bien! très bien!)
- Paul Bert rappelle ensuite ce qu'a été l'enseignement supérieur depuis la création de l'Université en 1808. Il signale l'état mi­sérable où il a végété pendant soixante-dix ans et il y veut remédier par un projet de loi qui appliquerait à la France le principe général des universités. La liberté qu'il ré­clame fera naître des universités catholi­ques et, par suite, des divergences dans les enseignements, des contradictions dans leurs effets ; mais cela ne l'arrête pas ; il n'est pas de ceux qui ne veulent de liberté que pour soi-même.
« Je ne demande pas qu'on refuse la li­berté d'enseignement; j'indique seulement les inconvénients qui résulteraient de cette liberté laissée à elle-même dans les condi­tions indiquées par le projet de loi, c'est-à-dire si vous n'organisiez pas en même temps une liberté véritable par la consti­tution de ces vastes universités dont j'ai parlé. »
Aussi, quand il s'agit de voter sur le pas­sage aune seconde lecture,mit-il à son vote cette condition « que la commission à la­quelle son projet a été renvoyé en fasse tout d'abord le rapport? »
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viens contester le principe de la liberté de l'enseignement supérieur. Comme le dit très bien l'honorable rapporteur de la com­mission, la liberté de l'enseignement sera pour l'Université un stimulant utile.....J'ac­cepte donc, comme les précédents orateurs, toutes les dispositions qui ont pour objet de faciliter l'ouverture des conférences li­bres, des cours libres, des facultés libres, des universités libres; je ne crains rien de la liberté réglée par la loi. » (Très bien! très bien !) Et Bardoux :
« C'est parce que je crois à la solution li­bérale que je demande qu'on veuille bien voter le principe de la liberté de l'ensei­gnement supérieur. Le droit d'enseigner n'est pas, de son essence, propre à l'Etat; ce droit est une manifestation de la liberté de conscience. »
Mais, comme Beaussire, il réservait à l'Etat la collation des grades.
« Ainsi liberté de l'enseignement, liberté pour tous, et non pas seulement, comme on le disait, pour ces congrégations reli­gieuses, puissantes, riches, nombreuses, mais pour tout citoyen... mais en même temps obstacle infranchissable à la colla­tion des grades. »
Le 5 décembre, l'Assemblée décida qu'elle
L'évêque d'Orléans contestait l'esprit libé­ral que Paul Bert avait attribué à la Con­vention ; Challemel-Lacour faisait une ré­plique très véhémente à l'éloquent prélat, tout en exprimant son regret « de n'être pas d'accord avec son ami Paul Bert sur le principe de la liberté ».
Du discours beaucoup plus tempéré de Laboulaye, qui- répondit à Challemel-La­cour, je n'extrais que ces brèves sentences qu'il n'est pas hors de propos de relire.
C'est d'abord un mot de Burke qu'il s'ap­proprie : « J'ai toujours défendu la liberté, des autres, c'est le devoir du vrai libéral. » (Très bien! très bien! adroite et au.centre.)
Et, ce qu'il ajoute de lui-même :
« Demander la liberté pour soi et la re­fuser aux autres, c'est la définition du des­potisme.
« Il n'y a rien de plus libre qu'un despote ; mais il l'est seul.
« Vous osez faire appel à la compression et au silence ; vous ne pouvez plus vous dire libéraux! »
Mais j'ai dit que je me bornerais à citer ceux dont on a invoqué le témoignage à contresens. C'est après Paul Bert, Beaus-sire. Il dit :
« Pas plus que mon cher collègue de l'Université et mon ami Paul Bert, je ne
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une verve bien faite pour déconcerter les radicaux qui se figurent que radical est le superlatif de libéral! (Rires à droite.)
L'application de la liberté à l'enseigne­ment supérieur a provoqué des objections ; il les reprend sans les atténuer et il les réfute.
Cette liberté profitera à l'Eglise : « Il est évident, dit-il, que l'Eglise, le clergé, qui est l'église organisée, profitera et cherchera à profiter de la liberté d'enseignement.
«Je ne m'en afflige pas, l'Eglise usera d'un droit; que l'on use d'un droit, je n'ai pas à m'en plaindre, pourvu que ce droit ne soit pas un monopole, un privilège.
« Mais, dit-on, l'Eglise usera de ce droit plus que nous, parce qu'elle a dans sa main de grandes ressources, d'immenses ri­chesses... Eh bien! le clergé en profitera, c'est son droit; — mais il en profitera plus que nous; — soit! je le crains, mais je ne désespère pas de l'initiative individuelle pour défendre la société civile et laïque. »
« Il y a, continue-t-il, une seconde objec­tion qu'on oppose à la liberté d'enseigne­ment. On dit que la liberté d'enseignement troublera l'unité des esprits et affaiblira notre unité nationale, si nécessaire surtout après les désastres par lesquels nous avons passé. C'est là un argument très grave, dont
passerait à une seconde délibération par 531 voix contre 124.
Parmi les 531 votants favorables se re­trouvaient déjà les 37 que j'ai signalés comme ayant été rangés à tort par M. Maxime Lecomte et ses collègues au nombre de ceux dont ils s'appuient contre la liberté de l'enseignement supérieur.
La 2° délibération ne tarda point à suivre ; et ici encore, plusieurs des hommes « les plus attachés à la République, dévoués à la démocratie », dont on a pris abusi­vement les noms, prouveront par leurs témoignages que, loin d'avoir combattu la liberté de l'enseignement supérieur, ils l'ont au contraire expressément défendue.
Dèslapremiôre séance,le 21 décembre 1874, je rencontre Pascal Duprat et Jules Ferry. Leur amendement est une sorte de contre-projet ainsi conçu : « L'enseignement supé­rieur est libre, sous la surveillance de l'Etat qui reste investi de la collation des grades ».
Ce simple énoncé exprime déjà leur adhésion au principe de la liberté de l'en­seignement supérieur.
Pascal Duprat, qui s'est chargé de la dé­fendre, a montré, dans tout son discours, que non seulement il l'accepte, mais qu'il la veut; il y accentue son libéralisme avec
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je suis profondément ému. Mais enfin ni aucun de nos amis,ni moi, nevoulons d'une unité des esprits qui ne serait pas volon­taire, d'une unité qui serait le résultat de la violence et d'une tyrannie quelconque. » (Très bien ! très bien ! à droite.)
« J'arrive, messieurs, à la troisième objec­tion : « Cette liberté que vous allez consti­tuer... » — remarquez, messieurs, que Pascal Duprat est compté parmi ceux qui sont con­traires à la liberté d'enseignement et sur lesquels s'appuient M. Maxime Lecomte et ses amis, — « cette liberté que vous allez constituer abaissera le niveau des études...
« Si la liberté de l'enseignement devait avoir en effet ce résultat, je vous avoue que je la repousserais de toutes mes forces. Mais il n'en est pas ainsi. La liberté de l'enseignement établira la concurrence, soit! je le veux, je le désire. Nous avons besoin de cette concurrence pour aiguil­lonner les esprits. C'est un aliment nouveau que nous jetterons, pour ainsi dire, dans le foyer même de la science. La concurrence est nécessaire. »
Dans la seconde partie de son discours, Pascal Duprat, comme Beaussire, comme Bardoux, revendique la collation des grades par l'Etat, avec non moins de force qu'il n'a demandé la liberté pour tous,
L'amendement s'appliquant à ces deux parties essentielles de la loi : la liberté de l'enseignement et la collation des grades, il convenait donc de les diviser dans le vote.
La liberté de l'enseignement allant être mise aux voix, il était naturel de réserver le reste, la collation des grades. C'est ce que représenta le président, et Pascal Duprat n'y contredit pas.
L'article 1er : « L'enseignement supérieur est libre », fut donc mis aux voix, et voté cette fois sans que l'on eût recours au scrutin. Mais dès l'article 2, un amendement de MM. Adnet, Buisson (de l'Aude) et Henri Fournier fut, sur la demande du rapporteur renvoyé à la commission, ce qui fit sus­pendre la délibération commencée.
Le 24, veille de Noël, l'Assemblée s'était ajournée au mardi 5 janvier 1875.
La discussion des deux grandes lois cons titutionnelles sur l'organisation des pouvoirs publics et sur l'organisation du Sénat, occupa les mois de janvier et de février, et le double vote des 24 et 25 février fut suivi de la nomination d'un nouveau ministère (16 mars). J'en fis partie comme ministre de l'instruction publique — le quatrième de­puis le dépôt du rapport sur la liberté de l'enseignement supéreur.
On était pressé d'en finir.
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Dès le 15 mars l'évêque d'Orléans de­manda que la 2e délibération, suspendue presque au début, fût reprise. Le nouveau ministre, ancien membre de la commission, était tout préparé à s'entendre avec elle ; il était bon, néanmoins, de lui laisser quel­ques jours pour amener ce concert, car il y avait un point sur lequel l'accord semblait être difficile, et j'aurai à dire d'où venait la difficulté.
Le 28 mai, la 2e délibération fut placée à la suite de l'ordre du jour; elle recommença le 7 juin.
L'article 1"' : « L'enseignement supérieur est libre » ayant été voté pour la seconde fois le 22 décembre précédent, on s'était arrêté, comme je l'ai dit, à l'article 2, édictant les conditions requises pour ouvrir des établis­sements ou des cours d'enseignement supé­rieur.
Dès la première séance, le 7 juin, il y eut sur cet article plusieurs amendements que j'ai à signaler rapidement.
Le premier était signé par Henri Martin Charton, Malézieux, Carnot père, Barthélémy Saint-Hilaire, Carnot fils, — autant de noms que l'honorable M. Maxime Lecomte et ses collègues invoquent comme des autorités en faveur de leur proposition.
L'amendement portait : « Tous Français
majeurs, n'ayant encouru aucune des inca­pacités prévues par l'article 7 de la présente loi, pourront ouvrir, individuellement ou collectivement, des cours ou des confé­rences, aux seules conditions prescrites par les articles suivants. »
Il me suffit d'avoir donné le texte de cet amendement pour qu'on en voie l'esprit-, il fut d'ailleurs retiré comme ne venant pas alors en ordre utile.
Un amendement de M. Chevandier donna à.Pascal Duprat l'occasion d'une manifesta­tion plus explicite en faveur de la liberté d'enseignement :
« Je n'apprendrai rien de nouveau à l'As­semblée, disait-il, en lui disant que je suis partisan très résolu de cette liberté et surtout dans le domaine des hautes études, et c'est parce que j'en suis partisan que je viens défendre devant vous l'ancien texte de la commission et combattre le nouveau texte qu'on vous a proposé, » (Il s'agissait du mode de la collation des grades.)
Pascal Duprat était donc bien un partisan de la liberté au premier chef, et Jules Ferry ne l'était pas moins.
On a vu l'amendement qu'ils avaient si­gné en commun au début de la 2e délibéra­tion, le 21 décembre 1874, sur la liberté
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proclamer la liberté de l'enseignement, la libre diffusion des doctrines, non seulement pour les individus, mais pour les associa­tions, alors que vous venez d'autoriser une grande, une très grande expérience, une si grande nouveauté dans ce pays, arrêtez-vous là ; ne compliquez pas le problème et que, à la veille de nous séparer, nous n'em­portions pas la responsabilité redoutable d'avoir troublé d'une manière profonde les hautes études et le haut enseignement dans notre chère France. (Vive approbation. —-Applaudissements à gauche.) »
Ainsi, ni Paul Bert, malgré la contradic­tion qu'on peut signaler entre les déclara­tions du commencement et celles de la fin de son discours, ni Beaussire, ni Pascal Duprat, ni Bardoux, ni Henri Martin, ni Charton, ni Jules Ferry n'autorisent à s'appuyer de leurs noms contre la liberté de l'enseignement su­périeur.
En pourrait-il être autrement de Jules Simon? Ce serait, en vérité, bien extraordi­naire. Vous avez invoqué son autorité ! Ecoutez sa réponse (15 juin) :
« 11 y a deux choses bien distinctes dans la loi que vous discutez, tellement distinctes que je m'étonne qu'à chaque instant on incline à les confondre : l'une est la liberté de l'enseignement, et l'autre la collation des
de l'enseignement supérieur et sur la col­lation des grades.
La première partie (liberté de l'enseigne­ment supérieur) avait été votée et n'était plus sérieusement contestée. Restait la deuxième, qui l'était beaucoup plus.
Jules Ferry la reprit, le 1" juin, par un amendement, signé cette fois avec lui par M. Bardoux, quand on aborda le titre de la collation des grades.
En voici le texte :
<( Les facultés de l'Etat auront seules le droit de conférer les grades,
<( Les candidats aux grades des facultés de l'Etat seront dispensés de l'inscription et de l'assiduité aux cours, s'ils justifient des conditions équivalentes dans les facul­tés libres. »
En admettant à l'examen des facultés de l'Etat les candidats qui n'en avaient pas suivi les cours, les deux auteurs de l'amende­ment consacraient bien encore la reconnais­sance des cours libres. Jules Ferry s'ap­puyait de cette reconnaissance pour de­mander qu'on s'en tînt là, et il terminait son discours, qui se prolongea du 11 au 12 juin, en disant :
« Enfin, messieurs, alors que vous venez de faire une très grande chose, que j'ai faite avec vous, alors que vous venez de
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grades. On établit entre ces deux points des relations que mon esprit se refuse à aperce­voir.
« Quant à la liberté de l'enseignement, je n'hésite pas un seul instant, et dès qu'on a parlé de donner laliberto.de l'enseignement supérieur, j'ai dit à qui voulait l'entendre : si elle avait besoin d'être défendue, je se­rais là. » M. Hervé de Saisy. Très bien! M. Wallon. « En effet, il est. une raison pour laquelle je serai toujours dévoué à la liberté de l'enseignement supérieur, c'est qu'elle est la liberté... (Très, bien! très bien! à gauche) ...mais, messieurs, je l'avoue, et je le reconnais, personne n'a contéstela liberté de l'enseignement, excepté au début de la discussion; et il y a eu, pour proclamer le principe de cette liberté; chaque fois que nous avons voté, un ensemble qui ressem­blait à l'unanimité. »
L'unanimité, non sans doute, mais la très grande majorité, dans toutes les épreuves: les chiffres le prouvent.
La collation des grades était vraiment la pierre d'achoppement de la loi ; et c'est ici qu'était le manque d'accord, dont j'ai parlé, entre le ministre et la commission, dont le rapporteur était l'organe ; mais la collation des grades n'est plus en question, elle est
réglée et, si l'on revenait, dans la discus­sion générale, sur le débat où elle a été réso­lue jadis, je n'aurais pas de peine à montrer qui était, du rapporteur ou du ministre, le défenseur le plus décidé du droit de l'Etat. Mais je n'ai point à m'y arrêter aujour­d'hui,^ seule question dont il s'agisse étant la liberté de l'enseignement supérieur.
La troisième lecture qui eut lieu du 8 au 12 juillet fut marquée par un éloquent dis­cours de l'honorable M. Henri Brisson con­tre tout l'ensemble de la loi, et je m'étonne que nos collègues aient omis son nom parmi les autorités dont ils s'appuient.
Pour moi, je me borne à relever dans cette dernière délibération les deux votes princi­paux qui mirent fin au débat : Le 8 juillet, sur l'article 1er (l'enseignement supérieur est libre) voté par 494 voix contre 112; et le 12, sur l'ensemble de la loi, par 316 contre 266.
Et maintenant, messieurs, ma démonstra­tion est faite et j'en reviens à ce que j'ai dit en commençant sur la façon dont les au­teurs, je ne dis pas les signataires, mais les rédacteurs de la proposition ont procédé pour la recommander au Sénat. Je ne pense pas que le Sénat les en félicite.
Comment! leur dirai-je à eux-mêmes, comment! vous aviez deux documents offi­ciels dont l'un contient en deux listes les
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noms de ceux qui ont voté pour ou contre la liberté de l'enseignement supérieur, et l'au­tre ceux qui ont voté dans la même discus­sion pour ou contre l'ensemble de la loi, ensemble qui comprend tout à la fois la li­berté de l'enseignement supérieur et le mode de collation des grades. Votre proposition ne concerne que la liberté de l'enseignement , supérieur, la collation des grades ayant été abrogée depuis douze ans ; où allez-vous chercher vos autorités? Est-ce dans le scrutin du 8 juillet, dans la double liste uniquement relative à la liberté de l'en­seignement supérieur, qui vous donnait authentiquement et sans erreur possible ceux qui ont voté pour ou contre? Non. C'est dans le scrutin du 12 juillet, dans la liste comprenant ceux qui ont voté contre l'ensemble de la loi !
Vous ne vous demandez pas si ceux qui ont voté contre cet ensemble n'ont pas été déterminés par le fait de la collation des grades qu'ils y trouvaient. Vous ne cher­chez pas à dissiper toute incertitude à cet égard, quand il vous était si facile de le faire en vous référant à la double liste relative à la liberté de l'enseignement supérieur. Mais, si vous l'aviez fait, vous auriez vu que trente-sept de ceux que vous donnez comme ayant voté contre cette liberté ont,
au contraire, voté pour elle, ce qui déran­gerait singulièrement vos calculs.
On ne voit pourtant rien qui, dans cet intervalle du 8 au 12 juillet, ait pu faire que des hommes comme Bardoux, Marcel Bar-the, Casimir-Perier, Jules Favre, Jules Ferry, Lamy, Victor Lefranc, Emile Lenoël, l'ami­ral Pothuau, Bobert de Massy, Jules Simon, Vacherot, Waddington et d'autres, que j'ai nommés plus haut, aient passé en quatre jours du blanc au noir. Je ne parle pas de Paul Bert qui semble l'avoir fait, dans la même journée, du commencement à la fin de son discours. Et encore si Paul Bert vi­vait, il pourrait bien aujourd'hui voter non pas contre, mais pour la liberté de l'enseigne­ment supérieur; car la condition qu'il met­tait à son vote dans un sens favorable, la création de grandes universités d'Etat, existe, non pas seulement en projet, mais en réa­lité, grâce à l'action continue de tous les ministres de l'instruction publique qui se sont succédé depuis le 12 juillet 1875 et au concours persévérant des deux Chambres.
Comment donc évoquer encore le fan­tôme de ces universités catholiques sou­tenues par toutes les richesses de l'Eglise et menaçant d'écraser l'Université de France, en présence de ces quatre ou cinq instituts catholiques de Paris, de- Lille, de Lyon, de
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Toulouse, d'Angers, qui ont d'excellents professeurs, mais qui, pour vivre, ont be­soin de recourir à une quête annuelle comme une simple œuvre de paroisse.
N'y a-t-il pas devant elles aujourd'hui,non pas cinq universités comme le demandait Paul Bert, mais bien plus qu'il n'en vou­lait : quinze ou seize universités de l'Etat, dûment inscrites au budget et légalement ouvertes aux largesses publiques? Et com­ment oser dire que la loi de 1875 a été fu­neste à l'enseignement public! C'est de cette loi au contraire que date le dévelop­pement de l'enseignement supérieur, et je ne crains pas de dire qu'à cet égard j'y ai contribué. (Très bien! à droite.)
La question de la liberté de l'enseigne­ment supérieur ayant été posée, j'ai voulu, dès mon entrée au ministère, préparer les facultés de l'Etat à soutenir la lutte. J'ai commencé par supprimer l'éventuel en augmentant, non pas dans des proportions équivalentes, mais sur un taux plus avan­tageux, le traitement fixe des professeurs. Sans cela, comment auraient-ils pu, en pro­vince surtout, voir d'un œil indifférent des professeurs nouveaux, ou des maîtres de con­férences, venir partager avec eux le maigre produit du droit d'examen ?
J'ai donc par là rendu possible l'accrois-
sèment des chaires, l'établissement des conférences. J'ai pu faire créer des chai­res nouvelles à Paris, à la faculté des let­tres, au collège de France, malgré l'exiguité du budget de l'instruction publique qui, en 1876, ne dépassait guère 38 millions (exac­tement 38,220,415 fr.) et qui, en y ajoutant les ressources spéciales sur les fonds dé­partementaux et autres, n'atteignait pas 50 millions (exactement 49,783,415 fr. Au­jourd'hui, en 19021e budget de l'instruction publique est de 208,663,783 fr.
J'ai pu, en outre, avec le concours des villes, faire établir des facultés nouvelles sur les points où la concurrence était im­minente : une faculté de médecine à Lille, une faculté de droit à Lyon qui était tribu­taire de Grenoble..
Je puis donc dire qu'avant de sortir du ministère j'avais préparé les développe­ments qui ont mis l'Université en mesure de soutenir avec éclat la concurrence de l'enseignement libre.
L'enseignement libre, loin de nuire à l'université, lui a donc servi.C'est pourquoi, même comme universitaire, je le défends contre ceux qui, en l'attaquant, renient le principe proclamé dans toutes les cons­titutions libérales, depuis la Révolution de 1789 jusqu'à aujourd'hui.
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Il faut donc, messieurs, dissiper toute ambiguïté dans votre vote. Il ne faut pas que l'on puisse dire que cette grande ques­tion de la liberté de l'enseignement supé­rieur, qui a eu pour elle, à l'Assemblée na­tionale de 1871, une si énorme majorité, et dans ce nombre trente-sept de ces républi­cains rangés à tort, très à tort, parmi ses adversaires ; qui a été réclamée, soutenue dans cette même Assemblée par quatre des anciens ou futurs ministres de l'instruction publique (et ce ne sont pas les moindres), par Jules Simon, Bardoux, Jules Ferry et même Paul Bert; il ne faut pas que l'on dise que cette question de liberté n'a pas été jugée digne au Sénat d'être examinée dans les bureaux. Il ne faut pas qu'on ait le droit de dire qu'elle y a été étranglée entre deux portes.
Ma conclusion est donc qu'il serait sage de ne point voter la prise en considération de la proposition; mais si vous pensiez le contraire, je crois qu'il est absolument in­dispensable de prononcer le renvoi aux bureaux qui, éclairés par les renseigne­ments que j'ai pu vous fournir, verront s'ils doivent donner suite à la proposition. (Très bien ! très bien! et applaudissements sur divers bancs à droite et au centre.)
SÉANCE DU SÉNAT DU 7 NOVEMBRE 1902
M. le président. La parole est à M. Wallon.
M. Wallon. Messieurs, puisque la propo­sition de loi de M. Maxime Lecomte et plu­sieurs de ses collègues est prise en considé­ration, je demande qu'elle soit renvoyée à une commission dont les membres nommés dans les bureaux apportent à l'examen de la proposition l'autorité d'un mandat con­féré en connaissance de cause.
La commission de dix-huit membres à laquelle M. Maxime Lecomte demande qu'on, renvoie sa proposition a été nommée pour l'enseignement secondaire et nullement pour l'enseignement supérieur. Elle compte assu­rément plusieurs membres qu'il y aura pro­fit à faire entrer dans la commission nou­velle ; mais il peut y avoir des sénateurs qui, étrangers àl'enseignement secondaire, soient désignés, par leurs travaux et par leurs an­técédents, pour faire partie d'une commis­sion de l'enseignement supérieur, et qu'il y aurait dommage à laisser en dehors. (Très bien! très bien! à droite.) Les lumières qu'ils y apporteraient serait d'autant plus précieuses
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que, dans leur exposé des motifs, les au­teurs de la proposition actuelle ne se sont pas donné beaucoup de peine pour nous éclairer. (Sourires à droite.) M. Victor Leydet. Ils pensaient que
c'était inutile. M. Maxime Lecomte. Nous n'avions pas
tant de témérité !
M. Wallon. Qu'y trouve-t-on, en effet?
En tête, une véhémente sortie contre la réaction cléricale, qui, « en 1850, a conquis sur les droits de la société laïque la loi sur l'enseignement secondaire, et qui, en 1875 — je cite toujours — a obtenu un sembla­ble triomphe par la loi sur l'enseignement supérieur ». — Suit une liste d'une centaine de noms, comprenant «les hommes les plus attachés à la République, les plus dévoués à la démocratie » dont on prétend s'ap­puyer.
En regard, deux témoignages réaction­naires : l'un du Correspondant, où M. Char­les Lenormand parait porter plus d'intérêt à l'enseignement secondaire qu'à l'enseigne­ment supérieur ; l'autre du journal YUnion, où il est dit : « 11 faut effacer de la langue française cet affreux barbarisme : l'Univer­sité de France. »
Enfin cette affirmation : « La loi de 1875 à contribué pour une large part à créer
dans la nation deux camps étrangers et hos­tiles l'un à l'autre. »
Ainsi, les cinq instituts catholiques dont j'ai parlé dans mon discours auraient tenu en échec les quinze universités de l'Etat qui se partagent tout le territoire de la France ! Permettez-moi, messieurs, de pro­tester, en ma qualité de doyen honoraire de la faculté des lettres de l'université de Paris.
Voilà toutes les raisons que l'on nous donne pour supprimer la liberté de l'ensei­gnement supérieur. Je me trompe. Il y a un argument qui domine tout : c'est le bloc « des hommes les plus attachés à la République, dévoués à la démocratie », dont on a donné les noms, au nombre d'une centaine, comme ayant voté contre la liberté de l'enseigne­ment supérieur. Or, je crois avoir démoli ce bloc pierre à pierre, en vous montrant, piè­ces en main, que trente-sept sur cent-six, exactement, ont voté, non pas « contre » mais « pour » la liberté de l'enseignement supérieur. M. Béraud, tout à l'heure, en re­venant surmon précédent discours, anégligé de me répondre sur ce point qui était mon grief principal, c'est-à-dire sur cette façon de procéder qui consiste à aller prendre les noms dont on s'appuie là où il ne fallait pas les chercher, là où l'on devait savoir qu'on ne les trouverait pas.
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Parmi ces noms, il y a ceux des orateurs dont je donnais en même temps les opi­nions— opinions qui se trouvent consignées dans les annales de l'Assemblée nationale, où l'on pouvait les lire tout au long.
L'exposé des motifs est donc bien vide. A quoi aboutit-il? A une négation:
« Article unique: — La loi du 12 juillet 1875, sur l'enseignement supérieur, est abrogée. »
Les instituts catholiques, les universités populaires, l'école des sciences politiques, où notre ancien secrétaire général, comme l'a dit M. Cornil, professe avec tant d'éclat, l'institut Pasteur— je me suis permis de le rappeler par interruption, et M. Cornil, du reste, allait vous dire les éminents docteurs qui professent dans cette mai­son — les cours libres, autrefois si cha­leureusement réclamés par la gauche, tout tombe, la proposition de loi a tout fauché, il n'y a plus debout que les établissements de l'Etat
Il n'est donc pas inutile que les commis­saires appelés à construire un édifice nou­veau dans ce vide apportent à cette.œuvre des idées qui aient été exposées et approu­vées dans les bureaux.
Le discours de M. Cornil a suffisamment montré que la commission d'enseignement
•secondaire, telle qu'elle est composée, quel­que éminents que soient les membres qui en font partie, est absolument hors d'état de répondre aux besoins de la science libre, telle que notre savant collègue l'a exposée. (Très bien ! 1res bien ! sur divers bancs.)
Hier, quand M. le ministre de l'instruction publique demandait le renvoi de son projet de loi sur renseignement supérieur à la commission nommée pour l'examen de la proposition Béraud, et que l'on réclamait la nomination d'une commission spéciale, il justifiait sa demande sur l'identité du su­jet. « Identiquement sur ce même sujet, di­sait-il, le Gouvernement dépose un projetde loi, et il en demande le renvoi à la commis­sion déjà saisie. Si on en nommait une nou­velle, on aurait, en effet, le spectacle de ces deux commissions fonctionnant spontané­ment pour examiner l'une et l'autre le même projet de loi sur l'enseignement se­condaire libre et sur la loi de 1850. » Voilà ce que disait M. le ministre.
Inversement, et pour les mêmes raisons qu'il a données, c'est à une commission spéciale qu'il faut renvoyer la proposition de M. Maxime Lecomte. Ce n'est pas de la loi de 1850 et de l'enseignement secondaire qu'il s'agit, mais de la loi de 1875 et de l'en­seignement supérieur. Ce sont deux sphères
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cours s'ils justifient de conditions équiva­lentes dans les facultés libres. »
J'ai réuni ces deux amendements en un seul et je demanderai de renvoyer à la com­mission qui sera nommée — car je propose qu'on en nomme une — ce contre-projet :
« Art. 1". — L'enseignement supérieur est libre sous la surveillance de l'Etat.
« Art. 2. — Les facultés de l'Etat auront seules le droit de conférer les grades ; les candidats aux grades des facultés de l'Etat sont dispensés de l'inscription et de l'assi­duité aux cours s'ils justifient de conditions équivalentes dans les facultés libres. »
A ces conditions, que j'emprunte textuel­lement aux deux amendements de ' Jules. Ferry, il est entendu que la commission pourrait ajouter des articles qui compléte­raient tout ce qui intéresse l'enseignement supérieur dans tous les ordres de sciences.
Je proposerai que la commission soit composée de neuf membres, mais c'est une condition à laquelle je ne tiendrai pas abso-: lument. Ce que je demande que l'on mette aux voix, c'est le renvoi à une commission spéciale.
Pourquoi suis-je d'avis qu'une commis­sion de neuf membres pourrait suffire? Je vais vous en dire la raison.
Je crois que le grand nombre de membres
lout autres. Ce que Ton enseigne est tout différent, et ceux qui sont enseignés ne dif­fèrent pas moins. M. Cornil l'a dit encore tout à l'heure, et je ne fais que répéter ce que l'on avait dit déjà avec raison sur ce dernier point : l'enseignement secondaire prend l'enfant et le conduit jusqu'au sortir de l'adolescence; l'enseignement supérieur reçoit le jeune homme déjà formé, et le garde, même homme fait. La commission d'enseignement secondaire aura de quoi s'occuper avec la matière que M. le ministre de l'instruction publique lui apporte; la commission spéciale que je réclame aura aussi beaucoup à faire et puisque la propo­sition même de M. Maxime Lecomte, ne lui apportant rien, lui laisse tout à faire, je lui soumettrai un contre-projet qui, je l'espère, ne paraîtra pas au Sénat dénué d'autorité.
Au cours de la discussion de la loi du 12 juillet 1875, Jules Ferry a présenté deux amendements, l'un avec Pascal Duprat por­tant : « L'enseignement supérieur est libre sous la surveillance de l'Etat qui reste in­vesti de la collation des grades » ; l'autre avec Bardoux, la liberté ayant été votée : « Les facultés de l'Etat auront seules le droit de conférer les grades; les candidats aux grades des facultés de l'Etat sont dis­pensés de l'inscription et de l'assiduité aux
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dans une commission n'est pas toujours très utile et a quelquefois des inconvénients. Lorsqu'il y a dix-huit membres, on compte un peu les uns sur les autres, et quand il y a un vote important, si la majorité et la minorité se balancent, il n'est pas impos­sible qu'il y ait des absents et que, par con­séquent, la sincérité du vote laisse à désirer. Au contraire, quand il n'y a que neuf mem­bres, les points importants, les votes déci­sifs ne sont jamais abordés que quand on est au ^complet. Mais, je le répète, je ne tiens pas au nombre et je me borne à cette observation, Si le Sénat vote la commission spéciale, alors on verra s'il y a lieu de la composer de dix-huit membres ou de neuf.
Voilà, messieurs, ma proposition. (Très bien! très bien! sur divers bancs.)
Sur la. proposition de M. Leydet, acceptée par M. Wallon, le renvoi à une commission spéciale, composée de dix-huit membres, est adopté.
Pans. — Imp. des Journaux officiels, 31, quai Voltaire.