Extrait du Journal officiel de la République française du 11 Décembre 1901
DISCOURS
PRONONCÉ PAR
M. H. WALLON
SENATEUR INAMOVIBLE
SEANCE DU SENAT DU 10 DÉCEMBRE 1301
abrogation du chapitre 1er du titre iii de la loi du 15 mars 1850
sur l'enseignement
PARIS
IMPRIMERIE DES JOURNAUX OFFICIELS
31, QUAI VOLTAIRE, 31
1 90 1
Extrait du Journal officiel de la République française du 11 Décembre 1901
DISCOURS
PRONONCÉ PAU
M. H. WALLON
SÉNATEUR INAMOVIBLE
SÉANCE DU SÉNAT DU 10 DÉCEMBRE 1901
abrogation du chapitre 1" du titre iii de la loi du 15 mars 1850 sur l'enseignement
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PARIS
IMPRIMERIE DES JOURNAUX OFFICIELS
31, QUAI VOLTAIRE, 31
1901
Extrait du Journal officiel de la République française
du 11 Décembre 1901
DISCOURS
PRONONCÉ PAU
M. H. WALLON
SÉNATEUR INAMOVIBLE
SÉANCE DU SÉNAT DU 10 DÉCEMBRE 1901
M. le président. La parole est, à M. Wal­lon.
M. Wallon. Messieurs, j'ai, pour pren­dre laparole dans cette discussion, un titre que personne d'entre vous ne m'enviera : c'est que je faisais partie de l'Assemblée nationale en 1850. J'ai un autre titre que plusieurs des quatre-vingt-onze signataires de la proposition pourraient m'envier, au contraire; c'est que j'ai voté alors contre la loi dont ils demandent aujourd'hui la sup­pression. [Très bien! à gauche.)
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M. le rapporteur, ou le premier auteur de la proposition, ne m'a pas compris au nombre de ceux qu'il nomme comme ayant voté contre la loi. Il les énumère, comme il les trouve dans la liste officielle, par ordre alphabétique, depuis Arago jusqu'à Victor Hugo, depuis A jusqu'à V; s'il fût allé jusqu'au W, il aurait trouvé mon nom. [Rires approbatifs sur un grand nombre de bancs.)
M. le rapporteur. Je m'excuse, mon cher collègue, de vous avoir oublié dans l'énu-mération que nous avons faite.
M- Wallon. Il est vrai qu'il parle des ré-puolicains, et les membres du centre droit, même ceux du centre gauche, voire de la simple gauche, les progressistes, ont cessé, aux yeux de son parti, de compter parmi les républicains.—Je passe. (Très bien! très bien! à droite et sur plusieurs bancs au centre.)
Mais je n'ai pas seulement voté contre la loi. Dès la première lecture, dans la discus­sion générale, j'ai pris la parole pour la combattre. Je n'ai point parlé comme Bar­thélémy Saint-Hilaire, pendant deux séan­ces, j'ai fait pourtant un assez long dis­cours, trop long peut-être; c'est que j'avais à faire à forte partie. Je parlais après M. Thiers, qui avait expliqué, justifié la
loi, et contre M. de Montalembert. Etait-ce pour attaquer la liberté de l'enseigne­ment?
Loin de là. Universitaire, simple agrégé ou doyen de la Faculté des lettres de Paris, j'ai toujours été partisan de la liberté; j'ai toujours eu la confiance que l'Université, pour accomplir sa tâche, n'avait pas besoin d'interdire aux autres le droit d'enseigner. [Très bien! à droite.) J'ai défendu et sou­tenu, sans défaillance, ce qui, dans la loi, ne touchait que la liberté. Ce que j'ai com­battu, c'est ce qui était injustement, à mon avis, dirigé contre l'Université. Je l'ai fait à propos de tous les articles, ayant ce carac­tère, dans la seconde et dans la troisième lecture, comme je l'avais fait par mon dis­cours, dans la discussion générale; et, à la fin, j'ai voté contre l'ensemble de la loi, parce que, à l'établissement de la liberté, elle joignait la désorganisation de l'Univer­sité. [Approbation sur divers bancs.)
M. Leygues, ministre de l'instruction pu­blique. Très bien!
M. Wallon. C'est, du reste, en ce sens, qu'un grand nombre ont voté, comme moi, contre l'ensemble de la loi.
Comment les républicains de 1848 au­raient-ils sitôt oublié le principe qu'ils
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de l'enseignement. Ce qu'il attaque dans la loi, c'est l'organisation de l'Université telle que la loi la règle, la composition de ses con­seils : conseil supérieur, conseils académi­ques; la diminution de l'autorité dans la multiplication des rectorats, etc. Pascal Duprat n'est pas moins fort : « L'enseignement doit être libre, dit-il. C'est la Constitution qui l'a dit après la Charte, mais d'une manière plus nette et plus positive, comme il convenait à une charte véritablement républicaine. Je suis pour cette liberté de l'enseignement, non seulement au nom de la Constitution qui l'a proclamée, mais dans l'intérêt de la conscience, dans l'intérêt de la dignité humaine, au nom de tous les intérêts mo­raux qui doivent occuper une si grande place dans la société; je suis surtout pour la liberté de l'enseignement au nom d'un intérêt qui n'a pas encore été défendu à cette tribune comme il devait l'être : au nom de cette chose que les anciens appe­laient sainte, au nom de l'enfance. » (Très bien! à droite.)
Il y revient et il y insiste. Il veut l'ensei­gnement public, mais aussi l'enseignement libre : « L'Etat, dit-il, doit-il tout soumettre à son effigie, tout attirer, tout concentrer dans ses mains? L'Etat, au contraire, ne
avaient écrit la veille dans la Constitution : « L'enseignement est libre? »
Si le rédacteur de la proposition, au lieu de prendre leurs noms dans la liste des vo­tants pour s'appuyer de leur autorité, avait lu leurs discours dans la discussion géné­rale, il aurait vu à quel point ils la ré­pudiaient. Il faut bien que j'en cite quel­ques-uns, car c'est contre lui que leur té­moignage se retourne.
Barthélémy Saint-Hilaire, ce grand libé­ral, se déclare « un ami sincère de la liberté d'enseigner ». Et il le prouve. Il invoque la Constitution :
« L'enseignement est libre. — La liberté de l'enseignement s'exerce selon les condi­tions de capacité et de moralité détermi­nées par les lois et sous la surveillance de l'État. — Cette surveillance s'étend à tous les établissements d'éducation et d'ensei­gnement sans aucune exception. »
La seule chose que notre regretté collègue n'accepte que très difficilement dans l'ensei­gnement libre, c'est qu'on l'appelle libre : ■< attendu, dit-il, que je ne comprends pas cette sorte d'opposition qu'on veut établir entre l'enseignement public, qui apparem­ment serait esclave, et ce qu'on appelle l'en­seignement libre, au lieu de l'appeler l'ensei­gnement particulier. » Il veut donc la liberté
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l'excitation des interruptions et des apos­trophes de la droite, tourne en attaque directe contre l'Eglise elle-même, il vante l'enseignement religieux. C'est une apolo­gie que je soumets aux francs-maçons de toute loge, et que j e présente aux admirateurs de son génie à la veille de son centenaire:
Le siècle aura deux ans!...
« Loin — dit-il — que je semble proscrire l'enseignement religieux, entendez-vous bien, il est, selon moi, plus nécessaire au­jourd'hui qu'il n'a jamais été. Plus l'homme grandit, plus il doit croire. Il y a un malheur dans notre temps, je dirai presque qu'il n'y a qu'un malheur : c'est une cer­taine tendance à mettre tout dans cette • vie. [Approbation générale.) En donnant à l'homme pour fin et pour but la vie terres­tre, la vie matérielle, on aggrave la misère, on ajoute à l'accablement des malheureux le poids insupportable du néant, et de ce qui n'est que la souffrance, c'est-à-dire la loi de Dieu, on fait le désespoir. » (Très bien! très bien! à droite.)
Suivent deux ou trois autres paragraphes de la même envolée, provoquant de nom­breuses approbations dans l'Assemblée.
Puisque l'honorable M. Béraud s'appuie de ces noms, j'ai voulu vous faire juger,
doit-il pas permettre qu'à côté de lui il s'élève des forces libres, des forces indé­pendantes qui aient aussi pour objet de ré­pondre à ces intérêts? Oui, sans doute, il faut à côté de l'enseignement public or­ganisé par l'Etat au nom des intérêts de l'Etat, représenté directement et légitime­ment, il faut d'autres enseignements, que je n'appellerai pas libres,parce que je veux que l'enseignement de l'Etat soit libre aussi dans une certaine mesure, mais des ensei­gnements privés; car ce n'est pas seulement la liberté humaine qui l'exige, c'est la cons­cience, c'est la pensée, c'est la loi même du progrès éternel! Ainsi, organisation libre de l'enseignement privé à côté de l'ensei­gnement public. Je veux et je demande cette organisation, parce qu'elle est un droit de la conscience, un droit de la pensée hu­maine, parce qu'elle est dans l'intérêt même de la civilisation.
« Je la demande, en outre, cette organisa­tion d'un enseignement privé, parce que l'Etat lui-même en profitera. »
J'en omets plusieurs autres pour m'ar-rêter encore à Victor Hugo.
Victor Hugo veut la liberté de l'enseigne­ment sous la surveillance de l'Etat. Dans un discours où il refuse au parti clérical le droit de se dire catholique, et qui, sous
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messieurs, si c'est à bon droit qu'il place sa proposition sous leur patronage.
C'est dans un même sentiment que les orateurs — républicains incontestables — de 1850 défendaient la liberté de l'ensei­gnement et combattaient les mesures qui avaient été prises contre l'instruction pu­blique.
Toute cette dernière partie de la loi, dé-sorganisatrice de l'Université, est depuis longtemps abolie.
M. Charles Riou. Très bien! Voilà la vérité !
M. Wallon. Elle l'a été dès les premières années de l'empire, et l'on peut être assuré que, s'il en fût resté quelque chose, mon ancien camarade Duruy, devenu ministre de l'instruction publique, y aurait bien porté remède.
Les auteurs de la nouvelle proposition n'ont donc rien à faire à cet égard. Ce qu'ils veulent détruire, ce ne sont plus les entra­ves que la loi de 1850 imposait à l'Univer­sité, c'est ce qui restait de la loi après la suppression de ces entraves, c'est-à-dire la liberté de l'enseignement. (Applaudisse­ments à droite et au centre.)
Cette liberté que toutes les constitutions de la France avaient proclamée en principe
depuis 1791, les quatre-vingt-onze signa­taires de la proposition veulent l'abolir.
Que font-ils, en effet? Après avoir abrogé par l'article 1er le chapitre 1er du titre III de la loi du 15 mars 1850, la proposition porte dans son article 2 : « Aucun établissement d'enseignement secondaire privé ne pourra se fonder qu'en vertu d'une loi. »
Et qu'assure-t-on à ces établissements exceptionnellement favorisés? L'article 3 déclare que si leurs élèves ne les quittent point pour passer leurs trois dernières an­nées, les années décisives, dans un lycée ou collège de l'Etat, aucun d'eux « ne pourra prendre des inscriptions dans une faculté de l'Etat en vue d'un diplôme requis pour l'exercice d'une profession, ni concourir pour les écoles du Gouvernement ».
Exclusion de toute profession libérale, exclusion de toute école du Gouvernement, voilà ce qu'on leur réserve !
Cela est un détail. Ce qui est le fond et l'essence même de la proposition, c'est l'article 2, c'est-à-dire la suppression de la liberté de l'enseignement. Qu'on en pèse bien les termes et qu'on en voie la portée !
Si je veux fonder un établissement d'en-seignementsecondaire,j'aurai besoin d'une loi spéciale; si tel autre veut faire la même chose, il lui faudra aussi sa loi.
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qu'elle est : — c'est sa condamnation. (Très bien! très bien! à droite.)
Qu'arriverait-il, d'ailleurs, si, par égard pour les noms honorables qui figurent en si grand nombre au bas de cette proposi­tion, le Sénat la renvoyait à ses bureaux pour y faire nommer, comme on le de­mande, une commission de dix-huit mem­bres ? Dix-huit membres ! évidemment, c'est pour un grand travail. Veut-on refaire l'enquête accomplie avec tant de soin et pendant de si longs mois par la Chambre des députés, enquête résumée dans la belle introduction de M. Ribot, couronnée au­jourd'hui par. le remarquable rapport de M. Aynard ?
Si la commission veut la refaire avec la conscience qu'y a mise la commission de la Chambre des députés, bien des mois s'écouleront avant qu'elle aboutisse ; et on peut croire que la Chambre, fût-ce la Chambre prochaine, ne se laissera pas devancer.
(M. Wallon fatigué s'arrête vn instant). Voix nombreuses. Reposez-vous ! reposez-vous !
M. Wallon. Merci! ce n'est pas néces­saire.
Si notre commission ne la refait pas dans le môme détail et avec le même soin, elle
Qu'est-ce qu'un droit ainsi concédé à titre privé? Un privilège.
De mon passage à l'école de droit et à l'école normale, il m'est resté qu'en droit romain une loi faite pour un particulier s'appelle privilegium et que priuilegium se dit, en bon français, « privilège. »
La Révolution avait aboli l'ancien régime comme un régime de privilèges; nos collè­gues, au début du vingtième siècle, substi­tuent un régime de privilèges au régime de liberté que la constitution de 1791 avait établi !
Ils prônent beaucoup la liberté dans l'ex­posé des motifs de leur proposition, mais ils la suppriment dans le dispositif...
M. l'amiral de Cuverville. Très bien !
M. Wallon. ... car ce qu'ils donnent par une loi particulière, par une loi de privi­lège, est-ce un droit? Non, c'est une per­mission.
Il me paraît inutile d'insister et d'exa­miner cette proposition dans ses con­séquences. Il ne s'agit, dit-on, que d'une prise en considération, mais il n'est pas besoin d'en dire davantage pour juger la question au fond; elle est toute dans l'arti­cle 2 qui en est le principe; il doit suffire d'en avoir dit le caractère, il saute aux yeux : suppression de la liberté, établisse­ment d'un régime de privilèges, voilà ce
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sera comme écrasée sous le poids des cinq ou six volumes de cette enquête ; car de cette enquête ressort une conclusion géné­rale en faveur de la liberté d'enseignement. C'est le sentiment presque unanime de ceux qui ont été entendus ou des conseils dont on a pris l'avis; c'est le cri de l'Uni­versité qu'on prétend protéger et qui re­pousse cette protection humiliante. {Très bien! très bien ! à droite.)
M. Ribot en a dit la pensée dans les pre­mières lignes de son introduction :
« Nous voulons maintenir à l'enseigne­ment public sa prééminence. Mais pour y parvenir, il n'est pas besoin -de recourir à des mesures d'exception. Il suffit de nous rendre compte des maux dont souffre l'Uni­versité, d'écouter ses plaintes et de lui donner les moyens qu'elle réclame pour soutenir la concurrence de ses rivaux. »
Et M. Aynard a dit dans son rapport sur les propositions de M. Fernand Rabier et de M. Levraud :
« L'Université, d'accord en cela avec l'u­nanimité des témoins entendus en dehors d'elle, ne réclame ni ne veut le monopole, et l'immense majorité de ses membres s'abstient de toute critique envers ses con­currents. De son côté, l'enseignement libre
n'a prononcé que des paroles de respect à l'égard de l'Université. Il reconnaît que l'Université, dans la délicate situation où elle se trouve, d'être à la fois juge et con­current, procède avec la plus parfaite jus­tice dans la collation des grades.
« Voilà des déclarations qui donnent une haute idée morale de ceux dont elle émane.
« Elles ne nous étonnent pas de la part des maîtres de l'Université qui forment dans leur ensemble un corps si noble, si désin­téressé et d'esprit trop élevé pour ne pas comprendre la valeur de la liberté et le danger du funeste présent qu'on voudrait leur faire.
« Elles sont au crédit des chefs de l'ensei­gnement libre, qui, en rendant hommage à l'un des grands corps de l'Etat républicain, offrent la meilleure preuve de l'exagéra­tion des accusations politiques qu'on porte contre eux. »
Mais pourquoi prolonger ce débat ? Une considération tranche tout : la proposition qui supprime la liberté d'enseignement est inconstitutionnelle.(Mouvements divers.)
La liberté d'enseignement n'est pas édic­tée par la Constitution de 1875; mais le suf­frage universel est-il édicté par cette Cons­titution? Non, il ne l'est que dans la Consti­tution de 1848 ; la liberté d'enseignement y
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est au même titre et en garde le même ca­ractère.
En ce qui touche la liberté, la loi de 1850 n'a pu que reconnaître, en le codifiant, ce que la Constitution de 1848 avait irrévo­cablement établi. Si donc votre proposition renvoyée aux bureaux en revenait sous forme de proposition de loi, elle ne pourrait être accueillie au Sénat que par cette dé­claration : la question préalable ! (Rumeurs à gauche.) — Il est donc inutile de la renvoyer aux bureaux. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)
t'ai'is. —Iinp. des Journaux officiels, 31, quai Voltaire.