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EXTRAIT DU JOURNAL OFFICIEL DU 2i JANVIER 1880
DISCOURS
PRONONCE PAR
M. H. WALLON
Séance du 23 Janvier 1880
PROJET DE LOI
RELATIF AU;
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET AUX CONSEILS ACADÉMIQUES
PARIS
LIBRAIRIE DES PUBLICATIONS LÉGISLATIVES
A. WITTERSHEIM ET Ge, QUAI VOLTAIRE, 31
1880
S É ÏST -A. T
EXTRAIT DU JOURNAL OFFICIEL DU 21 JANVIER 1880
DISCOURS
PUONONCE PAR
M. H. WALLON
Séance du 23 Janvier 1880
PROJET DE LOI
RELATIF AU
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET AUX CONSEILS ACADÉMIQUES
PARIS
LIBRAIRIE DES PUBLICATIONS LÉGISLATIVES
A. WITTERSHEIM ET Cc, QUAI VOLTAIRE, 31
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extrait du JOURNAL OFFICIEL du 2i janvier 1880
DISCOURS
PRONONCÉ PAR
M. H. WALLON
Séance du 23 Janvier 1880
Messieurs,
Le conseil supérieur est une institution qui domine renseignement à tous ses degrés et sous toutes ses formes. 11 est l'arbitre de l'en­seignement privé et le régulateur de l'ensei­gnement public. Vous permettrez à un homme qui a déjà passé quarante-huit ans de sa vie sous le gouvernement de ce conseil, qui a pris part, dans ces dernières années, à ses travaux, qui ne désire qu'une chose, c'est
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pour son trésor le plus cher, à l'Etat, c'est-à-dire à cette partie de la puissance publique qui est, par la force des choses, le dépositaire permanent des fonctions essentielles à la vie même de la société, qui subsiste sous tous les gouvernements, passant de l'un à l'autre sans participer à leurs luttes, toujours prêt à réparer les maux que causent les querelles in­testines, toujours docile sous les maîtres que les révolutions lui imposent, moins agité qu'ils ne le sont, les précédant et leur survivant, parce qu'il est destiné à durer aussi longtemps que la nation elle-même. »
Quel est cet Etat à qui on attribue un pareil rôle? Ce n'est pas, comme le disait ailleurs M. le ministre de l'instruction publique, ce n'est pas t l'ensemble des grands pouvoirs publics », puisqu'il est si docile, ce n'est pas non plus l'administration, puisqu'elle est si durable ; à ce caractère on ne reconnaîtrait pas l'administration aujourd'hui. (Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Je laisse donc ces définitions et les consé­quences que le rapporteur en tire, et partant de cet axiome tout familier : qu'il ne faut changer que pour mieux faire, je vais compa­rer le conseil que nous avions à celui qu'on nous donne, et rechercher si, au change, nous n'avons pas plus à perdre qu'à gagner.
Et d'abord, quelle est l'idée fondamentale de la composition de l'un et l'autre conseil?
de faire ce qui peut contribuer le plus à sa force et à sa considération (Très-bien! à droite.), vous lui permettrez de vous dire en quoi le projet de loi paraît s'écarter de ce but.
La tâche est difficile, je me trouve en pré­sence d'un projet de loi voté par la Chambre des députés et approuvé par un rapport d'une commission du Sénat savamment étudié. Le rapporteur, en effet, ne s'est pas contenté de dire la pensée de la loi et d'en retracer les an­técédents, il a voulu remonter jusqu'à son principe. Pour savoir qui doit composer le conseil supérieur, il s'est demandé à qui ap­partient le droit d'enseigner ; et il expose sur la famille et sur la société, sur le Gouverne­ment et sur l'Etat, une théorie au bas de la­quelle je cherchais un renvoi àAristote... (Exclamations à gauche.—Très-bien! et ri­res approbatifs adroite.)... J'aurais eu recours au texte, même au grec, mon savant confrère aidant, dans l'espoir d'y voir plus clair, mais cette lumière m'a fait défaut.
Force m'est donc d'attribuer au rapporteur lui-même ou à la commission la doctrine que j'y trouve et qui se résume en ces mots :
t Sur qui la société peut-elle s'en reposer du soin de l'éducation publique, si ce n'est sur son gouvernement?
« Mais comme les gouvernements changent souvent, ou que du moins ils peuvent changer, la société s'en remet plus particulièrement.
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des droits de l'Etat, jaloux de sa responsabilité et qui s'est donné à tâche de restituer à la chose publique, dans le domaine de l'enseigne­ment, la part d'action qui doit lui appartenir et qui va s'amoindrissant depuis bientôt trente ans, sous l'effort d'usurpations successives.»
Si le fait d'avoir proposé le projet dont la loi de 1873 est sortie est un crime d'usurpa­tion, ce n'est pas seulement M. le duc de Bro-glie qui en est coupable, — et je m'honore d'avoir signé la proposition après lui,—ce sont aussi deux ministres qui siégeaient dans le conseil où le projet nouveau a été adopté : l'un qui présidait le conseil, l'honorable M. Waddington, et l'autre, qui siège encore auprès de M. le ministre de l'instruction pu­blique, dans le nouveau ministère.
Un sénateur à droite. L'amiral Jaurêguiberry! M. Wallon. Le ministre de la marine, l'amiral Jaurêguiberry.
Mais ce n'est pas seulement à presque trente ans, comme le dit M. le ministre, que remon­tent ces usurpations; c'est à plus de trente ans qu'il faut dire. C'est à l'année 1848, c'est à la révolution de 1848 qu'il faut remonter; le principe de la loi est dans cet article de la Constitution, qui dit : « L'enseignement est libre.» L'enseignement étant libre, pouvait-on maintenir le conseil de l'Université tel qu'il était auparavant? Oui, si l'Université devait rester isolée au milieu des établissements li-
« Le conseil supérieur, — nous dit M. le ministre de l'instruction publique, pour le conseil nouveau, — le conseil supérieur, selon nous, ne doit être qu'un conseil d'étude ; sa mission est par-dessus tout pédagogique. »
L'idée fondamentale du conseil de 1850, re­prise en 1873, était beaucoup plus large :« Dans la pensée du législateur de 1850, dit le rap­porteur de 1873,1e conseil devait être la repré­sentation libre et fidèle de tous les éléments de la société, également intéressés dans la préparation des générations à venir. Ce n'était pas une simple réunion d'administrateurs as­sociés à la direction d'une branche de services publics, comme les comités de la guerre, de la marine et des ponts et chaussées, c'était une assemblée de famille, de la famille fran­çaise tout entière, appelée à surveiller les premiers pas dans la vie de ses propres en­fants. i>
Le rapporteur du Sénat ne fait pas très-grand cas de ce conseil qui ne comprenait, dit-il, « qu'en très-petite minorité des hommes compétents et spéciaux. » Mais, permettez, il y avait vingt professeurs sur trente-neuf, non compris le ministre, dans ce conseil ; il me sem­ble que ce n'est pas un si petit nombre : c'est la majorité.
M. le ministre n'est pas moins vif contre cet ancien conseil, et il dit de l'acte qui l'abolit : « C'est l'acte d'un gouvernement soucieux
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bres ; non, si l'Etat, tout en autorisant la créa­tion d'écoles libres, ne voulait pas se désia-téresser de leur développement. Cette pensée n'eot pas seulement celle de 1849, de cette époque d'affolement, comme il est dit dans le rapport de la Chambre des députés, d'affole­ment pour les anciens libéraux, une façon de se débarrasser du témoignage de M. Thiers ! mais je crois que le Gouvernement ne s'em­barrasse pas beaucoup de M. Thiers aujour­d'hui. (Approbation à droite.)
C'est aussi la pensée de l'Assemblée consti­tuante, en 1848. Le rapporteur de la commis­sion de 1848, M. Jules Simon, dans le rapport qu'il déposa en février 1849 sur le bureau de l'Assemblée, s'exprimait en ces termes :
« Tant que la liberté d'enseignement n'a pas existé, tout professeur était justiciable de l'Uni­versité, soumis à son autorité et à sa direction.
« Aujourd'hui, il n'en saurait plus être ainsi. S'il est nécessaire de placer auprès du ministre un corps consultatif pour le remplacer dans quelques-unes de ses attributions relatives aux écoles privées, pour le seconder dans quelques autres, on ne saurait, sans violer l'esprit de la Constitution, composer ce corps de membres de l'Université. C'est là sans doute une vé­rité d'évidence et que l'on nous dispensera de démontrer. »
Cela ne se démontrait pas en ce temps-là! (Très-bien ! à droite.)
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M. le rapporteur proposait un conseil com­posé de trois sections : l'une, la section uni­versitaire, section fondamentale, qui agis­sait, tantôt seule, tantôt avec deux annexes ; une section de perfectionnement pour les programmes et les méthodes, et une section particulière pour les questions relatives à l'en­seignement libre.
En 1850, on renonça à ce système. On pré­féra l'unité dans le conseil en le formant d'u­niversitaires d'abord, et en y introduisant, ensuite, ce que M. Thiers appelait « les repré­sentants des intérêts moraux ».
En 1873, même sentiment sur ce que de­vait être la composition du conseil, et ce n'est pas seulement M. le duc de Broglie et les deux ministres dont j'ai cité les noms tout à l'heure qui soutenaient ce principe ; c'étaient aussi les hommes les plus libéraux de cette assemblée : M. Vacherot, que nous regrettons de ne pas retrouver dans cette enceinte (Appro­bation à droite) ; M. Bertauld, que nous possé­dons encore, que nous posséderons toujours ; enfin, M. Jules Simon, alors ministre, et qui, dans cette situation, ne pouvait ni ne voulait renier ses principes de 1848, pas plus qu'il ne le fait aujourd'hui.
« Ce serait,' disait M. Vacherot, se faire une idée fausse du conseil supérieur, tel que la commission l'a conçu et veut l'établir, que d'y voir un conseil purement universitaire, un con-
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ce conseil. Ils y ont leur place, non pas seule -ment au nom des étab'issements, des écoles qu'ils peuvent diriger, ils y ont leur place en­core au nom de l'immense majorité des fa­milles qui tiennent à avoir des garanties pour l'éducation et l'instruction de leurs enfants. 1
M. Bertauld disait, en termes plus brefs, mais non moins expressifs sur ce point :
« C'est avec beaucoup de raison, — et j'ap­plaudis à son inspiration, — que la commission appelle dans le conseil supérieur les représen­tants de l'Eglise catholique, de l'Eglise réfor­mée, de la confession d'Augsbourg, du con­sistoire israélite, les représentants de la loi morale que je ne sépare pas de la loi reli­gieuse. »
Eafin, M. Jules Simon, parlant au nom de l'Université, disait : « L'Université accepte parfaitement un conseil, dans lequel toutes les grandes autorités morales de la société seront représentées, et non-seulement elle l'accepte, mais elle le demande ; non-seulement elle le demande, mais elle demande surtout son en­seignement, sur tous ses actes la plus grmde publicité possible, le plus grand contrôle pos­sible. C'est son honneur de pouvoir le deman­der impunément et d'être certaine que plus on l'examinera de près, plus on s'apercevra qu'elle rend au pays tous les services qu'elle est appelée à lui rendre. » (Très-bien ! très-bien 1)
seil d'Etat en quelque sorte dans le départe­ment de l'instruction publique.
« Le conseil supérieur de l'instruction publi­que a un tout autre caractère : ce n'est pas un simple conseil de l'Etat, c'est un conseil d6 la société.— Cela va faire dresser les cheveux sur la tête aux auteurs ou défenseurs du pro­jet de loi (Rires à gauche.) ; — c'est, comme l'a dit excellemment notre honorable rapporteur, le conseil de la grande famille française.
t Dans la haute et importante tutelle que ce conseil doit exercer sur les écoles publiques, ce conseil représente une autorité supérieure à l'Etat, l'autorité de la société elle-même en ce qui touche ses plus chers intérêts : car il n'y a pas d'intérêt supérieur, il n'y a pas d'in­térêt égal (vous le pensez comme moi), à ce qui concerne l'instruction de l'enfance et de la jeunesse. Vous le savez tous, l'avenir et le salut du pays sont là.
« S'il en est ainsi, il est juste, il est néces­saire que cette représentation soit complète; et, pour qu'elle le soit, il faut que tous les élé­ments de la société y soient compris. Par con­séquent, personne no doit s'étonner ici de voir dans ce conseil l'Eglise à côté de l'Université, l'Institut à côté des facultés de l'Etat, l'ar­mée à côté de la magistrature, l'enseignement laïque à côté de l'enseignement congréganiste.
« Oui, je ne crains pas dele dire, les minis­tres des cultes forment un élément intégral de
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que, prononce en dernier ressort et souverai­nement sur l'ouverture et la fermeture des écoles; le conseil prononce sur le sort des maîtres eux-mêmes, et peut les frapper d'inter­diction à temps et à toujours.
Dans ces conditions, pouvait-on le compo­ser uniquement de professeurs de l'Etat? On ne le croyait pas en 1873. On ne voulait pas qu'il pût paraître en quelque sorte juge et partie dans la même cause ... (Très bien.) Et c'est aussi la raison qui a provoqué naguère une très-vive protestation dans une partie de la Chambre des députés; c'est la raison du système de M. Bardoux proposant l'établisse­ment de deux conseils : l'un pour l'Université, l'autre pour l'enseignement libre. M. Bardoux le motivait ainsi :
« Je puis dire que sur 25 ou 30 affaires qui se présentent à chaque session du conseil su­périeur, dans ces derniers temps il y en avait 15 qui tenaient à des questions de discipline.
« Il faut que la justice rendue pir le conseil supérieur soit assurée, il faut qu'elle ne puisse pas être soupçonnée. Or pour cela l'Université ne doit pas être juge et partie dans une cause où souvent des intérêts rivaux sont en jeu.
« Le projet de loi qui a été déposé ne tient pas compte — c'est le grand reproche que je lui fais, mais il est capital — des fonctions judiciaires du conseil supérieur, de son rôle d'arbitre entre la liberté et l'Etat. »
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Et dans une autre séance :
« Il faut que les règlements de l'Université soient partout appliqués et que les volontés in dividuelles ne viennent pas en empêcher l'exé­cution. Mais pour que la loi dans une pareille matière ait toute l'autorité à laquelle elle a droit, il faut qu'elle soit faite par un conseil composé de telle sorte que toutes les conscien­ces et tous les intérêts y trouvent leur garan­tie. » (Très-bien! adroite.)
« En un mot, on met en haut ce qu'on ne veut pas mettre en bas, et précisément pour donner plus de force à l'unité de l'enseigne­ment, on en constitue les règles et les princi­pes en appelant, comme on le fait pour la loi générale, la société tout entière à y collaborer. » (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.)
Il y a bien eu, en 1873, des objections con­tre la présence des ministres des cultes dans le conseil : M. Brisson, M. de Pressensé, M. Paul Bert s'y opposaient. Mais quant à la composition mixte du conseil, c'est une idée qui était universellement adoptée; et il y avait pour cela une raison capitale : c'est que le conseil n'est point seulement un con­seil pédagogique ; il n'a pas seulement à faire des programmes ; il est en même temps conseil disciplinaire. Il a une juridiction qui s'étend, non pas seulement sur l'Université, mais aussi sur l'enseignement libre, sur les écoles, sur les maîtres; le conseil, après le conseil académi-
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méthodes différentes, quand nous allions les faire juger par l'Université, il fallait modifier la composition du corps, il fallait la modifier de manière que la justice y fût possible.
« Comment! vous comprenez dans l'ensei­gnement des écoles ecclésiastiques, des écoles privées laïques, des écoles de diverses métho­des, et vous ne voulez pas que toutes ces écoles aient leur représentant dans le corps universitaire? Mais vous voudriez une chose inique, absurde, qui serait insoutenable ! » (Très-bien! très-bien 1 à droite.)
Gela n'était pas moins vrai en 1873. Mais M. Barthélémy Saint-Hilaire, notre honorable collègue, insinue que cette loi a été faite à une époque de réaction, « peu de temps avant le 24 mai, qui allait renverser le gouvernement trop libéral de M. Thiers. » Disons donc franche­ment qu'elle a été faite sous le gouvernement de M. Thiers et le ministère de M. Jules Si­mon; M. Thiers ne la désavouerait assurément pas aujourd'hui; et dans tous les cas, M. Jules Simon est là qui ne la désavouera pas davan­tage.
On peut donc affirmer que le projet, fût-il, au point de vue pédagogique, aussi bon qu'on le prétend, serait au point de vue judiciaire (et c'est une de ses grandes attributions), absolu­ment défectueux. Mais, au point de vue péda­gogique, est-il si bon? Comparons l'ancien conseil au nouveau.
Et M. Daguilhon-Pujol, dans la discussion, disait : « Vous constituez un tribunal dont les juges sont chargés de statuer sur le sort de ceux que vous appelez vous-mêmes « leurs « détracteurs, leurs ennemis, leurs rivaux », c'est-à-dire des juges placés dans toutes les con­ditions voulues pour que des magistrats se ré­cusent. Que des universitaires soient jugés par des universitaires, rien de mieux, c'est le droit commun ; mais qu'ils jugent « leurs ennemis, « leurs rivaux, leurs détracteurs ! » Est-ce que cela ne vous paraît pas monstrueux et con­traire à tous les principes du droit ? »
. M. Buffet et plusieurs sénateurs à droite. Très-bien !
M. Wallon. L'Assemblée de 1850 et celle de 1873 ne regardaient pas les écoles privées comme des ennemies, mais elles y voyaient des rivales de l'enseignement public, et cela suffisait pour qu'on crût ne devoir pas les sou­mettre à un tribunal absolument universi­taire.
C'est l'opinion qu'exprimait en 1850 M. Thiers en des termes que je prie les défen­seurs du projet de ne pas s'appliquer à eux-mêmes :
« Quand nous allions faire juger par le con­seil gênerai (conseil supérieur), par le conseil particulier d'académie, tous les enseignements quelconques, et l'enseignement religieux et l'enseignement privé, et ceux qui auraient des
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Il y a, dans l'un comme dans l'autre, une partie commune et une autre différente.
Sur ce que le projet garde de l'ancien con­seil, l'entente sera facile. Le projet maintient les universitaires nommés par le ministre, les professeurs de facultés ou du Collège de France élus par leurs collègues, les professeurs libres, non plus élus par le conseil, mais choisis par le ministre. C'est un point dont la convenance pourra être discutée plus tard. • Pour ce que le projet nouveau ajoute ou re­tranche, l'accord sera moins facile.
Le nouveau projet retranche d'abord les mi­nistres des cultes. Cela veut-il dire que la re­ligion est retranchée de l'enseignement ? On l'a dit, le Gouvernement a protesté, mais en­fin les actes ne sont pas toujours d'accord avec les paroles! (ïrès-bient très-bien! à droite.)
Et remarquez-le, messieurs, ce ne sont pas des congréganistes que l'on retranche du con­seil, ce sont les évêques et les ministres des autres cultes. Les évêques n'ont-ils pas une place nécessaire dans le conseil? mais, la reli­gion n'a pas encore été retranchée des ma­tières obligatoires de l'enseignement. A ce titre-là, leur place y est marquée. Ils y ont aussi leur place marquée par leurs écoles. Je sais bien que notre honorable rapporteur a com­menté théologiquement cette grande parole : « lté et docete omnes gentes. Allez et enseignez toutes les nations. »
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Il a prouvé, par les textes de l'Ecriture, que le droit d'enseigner les humanités n'était pas, pour le "clergé, d'institution divine. Je suis d'accord avec lui. Mais en fait, est-ce que, dès l'origine, les ministres des cultes n'ont pas eu leurs écoles î Est-ce que, quand l'empire ro­main est tombé, ce ne sont pas les évêques qui ont fondé... (Rumeurs à gauche. — Très-bien ! très-bienl à droite.)...les premières écoles au milieu de l'invasion des barbares? Est-ce que, depuis ce temps, ils n'ont pas continué d'en avoir ?
Est-ce que, aujourd'hui, après l'Université, ce ne sont pas encore eux qui ont le plus grand nombre d'écoles? Il est vrai qu'on en tire un argument contre eux. « Ils doivent » — dit le rapporteur de la Chambre des députés, — « ils doivent d'autant moins siéger dans le conseil que, en matière d'enseignement, ils font concur­rence à l'Etat. » (Rires ironiques à droite.) Mais, messieurs, c'est précisément pour cette raison que M. Thiers trouvait leur présence nécessaire.
t C'est », ajoute le rapporteur, t un danger pour la liberté de conscience. »
Comment! sept ministres des cultes sur qua­rante membres du conseil, quatre catholiques auprès de trois protestants ou israélites, est-ce pour la liberté de conscience un vrai péril? « Chose analogue, dit-on encore, à ce qu'on fe­rait si l'on introduisait dans une armée na­tionale un général ennemi. 1 (Vives protesta-
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On retranche la cour de cassation et le con­seil d'Etat — Or, messieurs, quand on a fait partie du conseil, on peut rendro témoignage aux services éminents que les membres, soit du conseil d'Etat, soit de la cour de cassation, rendaient à cette assemblée dans toutes les matières de discipline et de juridiction.
On retranche les délégués des ministres de la guerre et de la marine.
Les ministres de la guerre et de la marine ont de grandes écoles, l'école polytechnique, l'école de Saint-Cyr, l'école de Brest.
Les programmes de l'Université ont besoin d'être coordonnés avec les programmes d'ad­mission à ces écoles.
Il est vrai que, pour le ministère de la guerre, le délégué est remplacé par un profes­seur de l'école polytechnique; mais ce n'e?t pas du tout la même chose ! Les relations entre le ministère de l'instruction publique et les mi­nistères de la marine et de la guerre — M. le ministre de l'instruction publique ne me dé­mentira pas sur ce point — sont extrême­ment délicates. Le ministre de l'instruction pu­blique a fait agréer du ministre de la guerre et du ministre de la marine la nécessité des di­plômes universitaires pour arriver à leurs écoles. Le ministre de la guerre a l'œil sur ces programmes; il observe avec inquiétude tous les changements qu'on y peut faire. II se demande si, par ces changements, le recru •
tions à droite.) Dans ces conditions, ce géné­ral me paraîtrait bien près d'être fait prison­nier. (Sourires sur les mômes bancs.)
M. Roger-Marvaise. Ce n'est pas le rap­port qui dit cela ! (Non I non ! à gauche.)
M. Barthélémy Saint-Hilaire, rappor­teur. Non, c'est le rapport de la Chambre des députés.
M. Wallon. Pour ce qui est du nombre, est-ce que l'on trouve excessif qu'il y ait qua­tre évoques en face de trois ministres dissi­dents? Est-ce dans cette proportion que la po­pulation se distribue en France entre les diffé­rents cultes? Eh bien, que l'on ramène l'éga­lité, si l'on veut ; que l'on retranche un évê-queou que l'on ajoute un dissident, un musul­man, comme le proposait à l'Assemblée na­tionale notre honorable collègue M. Jean Bru-net (Rires). Mais que l'on ne retranche pas les ministres des cultes d'un conseil d'en-se;gnement public. N'écrivez pas sur la grande porte de l'Université que la religion en est bannie. (Vives marques d'approbation à droite.)
On retranche encore l'Institut, et pourtant l'Institut envoyait ce qu'il avait de professeurs les plus éminents dans chacune des cinq classes.
On retranche l'Académie de médecine, com­me si l'hygiène était indifférente dans l'éduca -tion des enfants.
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même intérêt, je pourrais même dire un inté­rêt plus pressant ; car le programme de l'école de marine est plus compliqué, et les candidats sont plus jeunes. Or, le ministre de la marine est absolument laissé de côté. On a trouvé des inconvénients à nommer un pro­fesseur de l'école de Brest, et alors on n'a nommé personne. Si M. le ministre de la ma­rine s'en arrange, je n'ai rien à dire.
Enfin on retranche les délégués du conseil des arts et manufactures, de l'industrie et du commerce. On les remplace, il est vrai, par un professeur de l'école centrale et un profes­seur de l'institut agronomique. Cependant les conseils du ministère du commerce n'avaient pas si mal choisi leurs délégués. C'étaient M. Martel, notre honorable président ; notre vé­nérable collègue, M. Feray, M. d'Eichthal, dont le nom est bien connu dans le monde écono­mique. N'importe, ces trois honorables mem­bres se trouvent rangés parmi ceux dont M. le ministre de l'instruction publique a dit :
« En un mot, l'Université était mise en sur­veillance sous la haute police de ses rivaux, de ses détracteurs, de ses ennemis. » (Exclama­tions à droite.)
On vient de voir ce qui a été retranché du conseil. Resterait à examiner ce qui y a été ajouté; mais peut être vaut-il mieux réserver cela pour la discussion de l'article 1er.
Je ne puis cependant pas ne pas signaler
tement de ses écoles ne peut pas être compro­mis. Il en résulte qu'il estnécessaire qu'il y ait dans le conseil un homme qui soit -vérita­blement son délégué, qui le représente et qui puisse dire au conseil : Ne touchez pas à ces matières, car cela ne serait pas accueilli au ministère de la guerre ; et au ministre de la guerre : J'ai assisté au conseil; j'ai entendu les raisons de ces changements ; on peut les accepter. Je le repète : les relations entre les ministres de l'instruction publique et de la guerre exigent beaucoup de ménagements. J'en ai fait l'expérience moi-même lorsqu'il a été question de modifier le baccalauréat ès sciences.
Le ministre de la guerre est toujours à la veille de rompre le traité et de dire : "Vous voulez modifier vos programmes, modifiez-les. Vous avez vos examinateurs, j'ai les miens. Je ferai mes programmes, ils me suf­fisent.
Une élection par l'école polytechnique pourra donner au conseil un bon mathématicien,un bon physicien ou un bon chimiste de plus. Elle ne donnera pas au ministre de la guerre un homme qui soit véritablement son délégué. Gela est si vrai que, quoique le délégué du ministre de la guerre soit nommé pour six ans comme les autres, en fait, pendant les six années qu'a duré le conseil, le délégué a changé trois fois
Quant au ministre de la marine, il a le
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ment même. L'enseignement supérieur est re­présenté, très-largement représenté dans le conseil — et j'en rends grâce à M. le ministre de l'instruction publique, — mais l'enseigne­ment secondaire et l'enseignement primaire ne peuvent-ils pas l'être de même sans qu'il soit nécessaire de recourir à ces moyens?
Je prends l'article 1er et je vois en tête :
« Neuf conseillers nommés par décret du Président de la République en conseil des mi­nistres, sur la présentation du ministre de l'instruction publique. »
Est-ce que le ministre de l'instruction pu­blique ne peut pas comprendre dans ces neuf conseillers, les hommes qui connaissent le mieux l'enseignement secondaire ou l'enseigne ment primaire? Un inspecteur général qui a appartenu à l'un ou à l'autre de ces deux de­grés de l'enseignement, et qui, depuis plu­sieurs années, visite et ces écoles et ces classes, n'est-il pas bien plus propre à faire connaître les nécessités de ce double enseignement, qu'un professeur ou un instituteur confiné dans sa chaire ou dans son école? (Très-bien ! très-bien I à droite.)
Mais un professeur mûr pour le conseil ne pousse pas en une nuit comme un champi­gnon ! S'il y a quelque professeur faisant au­torité dans les matières qu'il enseigne, le pre­mier devoir du ministre de l'instruction pu­blique, c'est de le placer dans une situation
trois des principales additions qui sont faites au conseil.
t Un agrégé en exercice de chacun des or­dres d'agrégation de l'enseignement secon­daire classique ou spécial, élu par l'ensemble des agrégés du même ordre ;
« Deux délégués des collèges communaux élus, l'un dans l'ordre des lettres, l'autre dans l'ordre des sciences, par les principaux et pro ■ fesseurs en exercice dans ces collèges, pour­vus du grade de licencié ;
o Six membres de l'enseignement primaire, élus au scrutin de liste par les inspecteurs gé­néraux, etc., les directeurs et directrices des écoles normales primaires, la directrice de l'école Pape-Garpantier, les inspectrices, etc.. »
Avec la suppression des ministres des cul -tes, cette addition est certainement ce qu'il y a de plus caractéristique dans le projet de loi mis en délibération. « C'est l'innovation, — dit le rapporteur de la Chambre des députés, — la plus hardie. » J'en conviens, messieurs, mais je dois dire aussi que c'est la conception la plus malheureuse et la plus fausse. (Très, bien ! à droite.)
Le conseil de l'instruction publique, en effet, n'est pas une assemblée de notables pris parmi les professeurs à tous les degrés de l'enseigne­ment ; ce n'est pas une représentation de per­sonnes, c'est une représentation de l'enseigne-
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plus élevée, d'où, comme inspecteur ou di­recteur, il pourra répandre plus largement les fruits de son expérience. Et si par hasard il s'en trouve un qui soit resté dans sa chaire ou dans son école jusqu'à présent, c'est encore le ministre de l'instruction publique qui pourra le découvrir bien plus sûrement que ces électeurs répandus sur toute la surface de la France et parmi lesquels il sera comme perdu. On ne le découvrira que si le ministre le désigne par un mot d'ordre transmis de degré en degré; mieux vaut qu'il le nomme lui-même.
A ce propos, un mot seulement sur ces élections.
Les élections sont possibles pour l'ensei­gnement supérieur; les professeurs des facul­tés sont assez nombreux, mais pas tellement qu'ils ne puissent se bien connaître. Mais pour l'enseignement secondaire, il n'en est pas de même. Prenons d'abord les agrégés. M. le rap­porteur de la Chambre des députés a dit : « Vous oubliez que l'agrégation se passe à Paris, que tous les agrégés se connaissent, que l'agrégation est un lien qui les unit tous. >
Je vois là l'unité de lieu, mais l'unité de temps serait bien aussi un peu nécessaire. Je suis agrégé de 1834 : croyez-vous que je con­naisse un bien grand nombre d'agrégés ? Et si j'en connais peut-être plus que de plus jeunes que moi, c'est que j'ai [eu l'honneur d'être
maître de conférences à l'école normale, et qu'alors douze à quinze générations d'agrégés sont passées devant moi. Mais en thèse géné­rale, un agrégé connaît oeux avec qui il a concouru à l'agrégation, ses camarades d'é­cole normale, ses collègues de lycée ou de quelque lycée du voisinage. En somme, les agrégés ne se connaissent qu'en petit nombre; ils ne sont pas capables d'exercer aussi facile­ment que le croit le rapporteur de la Chambre des députés le droit qui leur serait donné.
Pour les licenciés, voyez quelle singulière anomalie ! et ceci, messieurs, n'est pas une hypothèse; ce que je vais vous dire c'est un fait qui se reproduit tous les ans. Voici deux licenciés, élèves sortants de l'école normale. Ils se présentent à l'agrégation : l'un est admis à la première épreuve, mais il échoue à l'é­preuve orale ; on le récompense de son travail en l'envoyant dans un lycée ; l'autre qui a peu travaillé échoue à la première épreuve, on l'envoie dans un collège communal. Celui qui n'a pas travaillé et que l'on a envoyé dans un collège communal devient électeur (et peut-être conseiller), tandis que celui qui a mieux mérité et qui est envoyé dans un lycée ne l'est pas. (Très-bien ! et rires à droite.)
Quant aux instituteurs, ils sont 40,000; on renonce à leur donner le droit de suffrage. Le suffrage universel dont on s'appuie si volon­tiers dans le rapport paraît faire défaut ici.
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C'est le suffrage restreint, et dans les condi­tions que vous avez vues, le suffrage restreint aux dignitaires ; ce sont les colonels et les of­ficiers de l'un et l'autre sexe qui nomment I II est vrai qu'ils ou elles peuvent nommer les soldats. (Nouveaux rires sur les mêmes bancs.)
C'est le désordre dans la législation (Très-bien! très-bien! et applaudissements à droite.), c'est le trouble dans les écoles, au lieu du calme si nécessaire à la tâche que les profes­seurs ont à remplir. (Approbation adroite.)
Vous nous placez entre les candidatures of­ficielles et, permettez-moi de le dire, le gâ­chis...
Voix à droite. Le gâchis, nous y sommes !
M. Wallon. Je n'aime pas le gâchis et dans l'Université on n'aime pas davantage les candidatures officielles... (Très-bien! à droite.)
Quelle est donc la pensée qui a fait intro­duire ces articles dans la loi ?
Je lis dans l'exposé des motifs que c'est pour introduire dans le conseil des éléments jeunes.
Mais il y a des éléments vieux dans les ly­cées et dans les écoles, comme il y a des élé­ments jeunes, et nous nous en félicitons, dans les rangs les plus élevés de l'administration. Ce ne sont pas des éléments jeunes qu'on a voulu introduire dans le conseil, mais des éléments d'ordre inférieur.
Je me sers de ce mot, car c'est à ce titre-là qu'on sera nommé. Et la preuve, c'est qu'à la Chambre des députés on ne s'est pas con­tenté des professeurs de lycée, on a voulu une représentation des collèges communaux. Pour­quoi ? Les collèges communaux ne sont-ils pas de l'enseignement secondaire comme les ly­cées? Pour la matière enseignée et pour l'é­ducation, c'est exactement la même chose. Mais dans les lycées il faut être agrégé; dans les collèges communaux, on peut ne pas l'être; on est hiérarchiquement inférieur; c'est pour cette raison qu'on aura un titre particu­lier pour être conseiller. (Très-bien ! à droite.)
Eh bien ! cela peut être fort démocratique, mais je vous déclare qu'il me paraît y avoir là de grands inconvénients.
Autrefois, ceux qui arrivaient au conseil su­périeur étaient parvenus au sommet de leur carrière, professeurs de facultés ou du Collège de France, recteurs, inspecteurs généraux ; ils se trouvaient dans une position indépendante. Maintenant, vous voulez introduire dans le conseil des hommes qui auront toute leur car­rière à faire. Leur avancement, fût-il mérité, deviendra forcément suspect. (Nouvelle appro­bation à droite.)
Quelle attitude voulez-vous que prennent dans le conseil ces nouveaux membres au­près de ces inspecteurs généraux qui, le len­demain, auront à prononcer sur leur sort ? Et
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quelle figure surtout feront dans les provinces ces principaux, ces proviseurs, voire même ces inspecteurs généraux qui ne seront pas du conseil, devant ce professeur de sixième,qu'ils devront saluer du nom de M. le conseiller? (Rires et applaudissements sur les mêmes bancs.)
La pensée qui a inspiré à M. le ministre ces articles et suggéré à la Chambre l'addition qu'elle a faite au projet, me paraît fort analo­gue à celle qui a fait imaginer autrefois les candidatures des sous-officiers. C'est exacte­ment comme si on disait.: L'armée et la flotte ne sont pas suffisamment représentées dans les conseils de la guerre et de la marine, par les généraux et les amiraux, il faut y introduire des sergents et des maîtres-timoniers. (Très-bien ! et rires à droite.) C'est comme si l'on disait au Sénat : Nous voulons représenter l'armée parmi les sénateurs inamovibles. La dernière fois nous avons nommé le ministre de la guerre et le ministre de la marine. Nous avons, jeudi prochain, une élection à faire; nommons le sergent Boichot. (Rires et applaudissemens sur les mêmes bancs.)
M. Tolain. Comparaison n'est pas raison .
M. Wallon. Je ne prétends pas rabaisser les jeunes agrégés et les sergents. Je leur porte envie; ils sont jeunes, ce sont les conseillers et les généraux de l'avenir ; même pour le présentai peut y avoir tel sergent plus capa-
ble qu'un général de dire les améliorations qu'on peut apporter à l'ordinaire du soldat ; tel conducteur des ponts et chaussés plus ha­bile qu'un ingénieur en chef à bâtir un pont ou à l'empêcher de crouler en temps de dé­bâcle. Mais est-ce que le ministre des travaux publics ou le ministre de la guerre ont l'idée de les faire entrer dans leurs grands conseils? Le ministre de l'instruction publique va leur donner l'exemple, exemple qu'on pourra bien, un jour ou l'autre, les sommer de suivre à leur tour ! (Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Mais revenons à l'ensemble du projet de loi. Dans l'exposé des motifs, je trouve bien une attaque assez violente contre les anciens con­seils de l'Université; mais de faits qui ap­puient ces attaques, il n'y en a pas.
Ce sont des questions de détail, des ques­tions de programme. Pour attaquer le conseil de 1850, on a été obligé de s'en prendre au conseil de 1852. dont je ne veux pas dire du mal, mais qui enfin était fondé sur des bases différentes. Quant au conseil de 1813, le­quel est en définitive le seul en question, je ne vois pas qu'on ait rien allégué de sérieux jusqu'à présent. Il faudra bien, cependant, qu'on ne se borne pas à ces attaques, et qu'on vienne les justifier par des griefs. Car enfin le conseil n'est pas un être anonyme qu'on puisse ainsi injurier impunément. Les sections du conseil qu'on retranche sont probablement
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celles qu'on regarde comme suspectes ; mais ces sections ont des noms d'hommes... (Très-bien ! à droite). Eh bien I ces noms se dressent maintenant contre vous, monsieur le minis­tre, pour vous demander compte de vos im­putations. Et je me fais leur interprète. Quel est donc le reproche que l'on peut leur faire ? En quoi les délégués des conseils du com­merce : MM. Martel, Feray, d'Eichtal, ont-ils nui dans l'ancien conseil aux progrès de l'Uni­versité?
Gomment ont-il arrêté les progrès des scien­ces et des lettres, les éminents professeurs que l'Institut a envoyés au conseil : MM. Ni-sard, Egger, Dumas, Giraud, et le secrétaire perpétuel de l'académie des beaux-arts M. De-laborde? (Approbation à droite.) En quoi ont nui le vice-président et les membres du con­seil d'Etat, le premier président et le procu­reur général de la cour de cassation ?
Et les évêques ?... Mais ici je m'arrête : c'est le point délicat; car, de même que, dans l'au­tre loi qui porte le nom de M. J. Ferry, on frappe tous les ordres congréganistes pour atteindre les jésuites, de même ici, je le soup­çonne, si toutes les sections que je viens d'énumérer sont frappées, c'est pour entraîner les évêques dans leur chute. (Très-bien ! très-bien ! à droite )
M. Delsol. Voilà la vérité !
M. Wallon. Le grief est-il fondé ? En quoi
les ministres de l'instruction publique, MM. Ferry, Bardoux et Waddington, ont-ils été entravés par les évoques dans le conseil ?
M. Jules Ferry n'a pas réuni le conseil ; mais j'attends qu'il m'apporte les griefs de MM. Bardoux et Waddington.
M. Delsol. Et de M. Jules Simon !
M. Wallon. Non ! permettez, M. Jules Si­mon n'était pas ministre pendant que le con­seil était en exercice. M. Jules Simon a fait la loi, mais il avait cessé d'être ministre quand le conseil a commencé à entrer en fonctions.
Je provoque cette déclaration, car je suis ici témoin pour le conseil. J'ai eu l'honneur d'en faire partie depuis le commencement jus­qu'à la fin à divers titres. D'abord comme nom­mé par le Gouvernement ; puis comme minis­tre, enfin comme professeur de faculté, élu par mes collègues.
Or, voici le témoignage que j'apporte, moi, comme ancien ministre.
J'ai fait, pendant mon ministère, deux choses qui ont été tout particulièrement désagréables aux partisans de l'enseignement libre.
Il y avait deux villes importantes, où l'on voulait fonder des universités libres : Lyon et Lille, et ces lieux paraissaient d'autant plus favorables qu'indépendamment de l'impor-lance des villes, les établissements de l'Etat y faisaient en partie défaut. Lille n'avait pas de faculté de médecine ; Lyon n'avait pas de
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des sciences de Rennes vont faire les examens du baccalauréat à Angers.
L'évêque d'Angers demanda que la faculté de Rennes envoyât dans cette ville les deux ou trois professeurs qui devaient faire partie du jury spécial. C'était déplacer la moitié du jury pour éviter le déplacement de l'autre moi­tié et de tous les candidats.
Le conseil supérieur refusa. Je ne désap -prouve pas sa décision, je m'y suis associé par mon vote; mais, enfin, vous conviendrez qu'elle n'était pas entachée de faveur (1)...
M. Buffet. Certainement!
M. Wallon. Voilà pour les choses. Quant aux personnes, pourrai-je dire assez combien le conseil leur a été secourable !
Il y avait une question qui intéressait et inquiétait très-vivement une grande partie de l'Université : c'était la façon de procéder du ministère à l'égard des mises à la retraite.
Vous savez que d'après la loi un professeur qui a 30 ans de services et 60 ans d'âge peut demander son admission à la retraite. L'admi­nistration interprétait que, — réciproquement, — elle avait le droit de mettre d'office à la re­traite, non-seulement dans l'enseignement se­condaire, mais même dans l'enseignement su­périeur. Unprofesseur.de la faculté des scien­ces de Lille reçut, un jour, une lettre qui l'a-
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faculté de droit. J'ai cru que, puisque la place était bonne, il fallait que l'Etat l'occupât.
J'entrai en négociations avec les municipali­tés de ces deux villes; je m'entendis facilement avec elles. Elles avaient le bénéfice de l'ensei­gnement; je leur laissai tous les risques de l'entreprise, réservant tous les profits à l'Etat. Elles acceptèrent.
Mais il fallait l'avis du conseil supérieur. Je vins devant le conseil le demander. L'avis fut unanimement favorable... (Très-bien! à droite.) ... les quatre évêques présents; et non seulement les évêques votèrent l'établis­sement de ces facultés de l'Etat, mais l'évêque d'Orléans appuya de sa parole la propo­sition qui était faite. (Nouvelle approbation à droite.)
Voilà, messieurs, la conduite du conseil à l'égard des établissements de l'Etat.
Voulez-vous savoir maintenant comment il se conduisait à l'égard des établissements li­bres? Je citerai une circonstance où il a mon­tré peut-être quelque rigueur. 11 s'agissait du jury spécial et de son application. La loi dit que « les époques et le lieu des examens se­ront déterminés par arrêté du ministre, après avis du conseil supérieur. » L'usage de l'Univer­sité, c'est que, pour le baccalauréat, les facul­tés se transportent dans les principaux centres des départements afin d'éviter le déplacement des élèves. Ainsi, les facultés des lettres et
il) Rectifié dans la séance du 27 janvier.
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vertissait qu'il était mis à la retraite, et cela au moment où il se préparait à aller faire son cours. Il fallut renvoyer l'auditoire.
Le conseil émît un vœu qui se résumait en ces termes :
« Les professeurs qui réunissent les condi­tions légales pour être admis à la retraite n'y pourront être admis que sur leur demande ou après l'avis du comité consultatif de l'instruc­tion publique s'ils appartiennent à l'enseigne­ment secondaire, ou du conseil supérieur de l'instruction publique s'ils appartiennent à l'enseignement supérieur. >
La proposition de ce vœu que je fis au conseil y fut votée malgré la très-vive résistance du di­recteur de l'enseignement supérieur de ce temps. Quelques mois après, devenu ministre, j'eus la satisfaction de l'inviter à me mettre ce vœu en bonne forme pour être soumis à la signa­ture de M. le Président de la République, comme décret: c'est le décret du 13 avril 4875.
Ce décret, sorti du conseil, a rendu la sécu­rité aux vieux professeurs en plaçant au moins un avis soit d'un comité, soit du con­seil supérieur, entre leur situation présente et la décision qui peut ruiner leur avenir.
Voilà, messieurs, ce me semble, des titres du conseil supérieur à la reconnaissance de l'Université.
Quant aux cas particuliers, je pourrais en
citer plusieurs, où le professeur menacé a été sauvé par lui des rigueurs de l'administration. J'en citerai un seul.
Il y avait dans une grande ville de l'Est un professeur qui était en même temps membre du conseil municipal, où son attitude déplut au ministre de l'instruction publique. Le ministre le transféra dans un autre lycée. Le profes­seur s'excusa demandant un congé. Le minis­tre refusa le congé. Le professeur refusa la place. Le ministre voulut le frapper de retrait d'emploi. Mais, pour cela, il fallait l'avis du conseil supérieur. Lé professeur menacé de­manda à être entendu. Il se présenta devant le conseil, exposa avec beaucoup de convenance ses raisons, et le conseil rendit un avis con­traire à la demande du ministre (1). Le minis­tre s'inclina. Le ministre était M. de Fourtou. Le professeur a pu témoigner de cette décision du conseil, devant la commission de la Chambre des députés, qui a examiné le présent projet de loi, car il est député et faisait partie de la commission.
Si le conseil supérieur avait existé encore l'année dernière, probablement il ne se serait pas associé davantage à un acte bien autre­ment grave, qui porte une atteinte sérieuse aux droits de l'enseignement supérieur. (Très -bien! très-bien! à droite.)
(1) Rectifié dans la séance du 27 janvier.
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Il y avait à Toulouse un professeur fort goûté du public, mais qui déplut au ministre. (Rires sur les mêmes bancs.) Le ministre, sans son aveu et malgré ses protestations, l'envoya à Dijon. Le ministre peut bien trans­férer un professeur de l'enseignement secon­daire d'un lycée dans un autre. M. de Four-tou était dans son droit quand il envoyait le professeur dont j'ai parlé dans une autre ville. Il n'aurait abusé de son droit (car c'eût été son droit encore), que s'il eût passé outre à l'avis du conseil. Mais un professeur de faculté n'est pas nommé comme un professeur delycée.Ilest nommé sur la double présentation de la faculté et du conseil académique. Il re­tient par cette présentation un droit particu­lier sur la chaire qu'il occupe; il n'est pas seu­lement professeur de faculté, il est professeur de telle chaire, dans telle faculté. (Très-bien ! très-bien! à droite.) Ecoutez, sur ce point, la déclaration d'un ancien ministre de ^'instruc­tion publique :
« Les professeurs de l'enseignement secon­daire peuvent être déplacés. Un professeur honnête homme, instruit, mais qui ne réussit pas dans la ville où il a, été placé, peut être transféré dans une autre résidence sans rien perdre du reste des avantages de classe ou de traitement qui lui étaient acquis. Le service ga­gne à ces changements ; l'homme n'y perd pas ; mais le professeur de l'enseignement supé-
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rieur qui est surtout visé dans ia proposition, celui-là n'est pas seulement propriétaire de son grade, il est propriétaire de sa chaire, de celle-là et non d'une autre. Le ministre ne peut sans un jugement ni lui ôter son trai­tement, ni lui ôter son grade, ni lui ôter sa fonction de professeur, ni lui ôter la chaire particulière à laquelle il est attaché. »
On ne peut mieux dire. Mais celui qui l'a dit, c'est M. Jules Simon. (Approbation à droite.)
M. Jules Ferry, ministre de l'instruction publique. La loi de 1850 est formelle en sens contraire.
M. Wallon. Nous pourrons le discuter, si vous le voulez, monsieur le ministre. Maïs il n'y a absolument rien là-dessus dans la loi de 1850.
Combien est différent du langage du mi­nistre ce que je lis dans le rappoit du Sénat : « A ce propos (il s'agissait de déplacer un professeur de lycée), on s'est demandé si ce droit nécessaire du ministre devrait s'étendre usqu'aux professeurs de l'enseignement supé­rieur. Cette hypothèse d'un professeur de fa­culté qu'on déplacerait malgré lui n'est pas im­possible ; mais l'incident serait tellement ex­ceptionnel et tellement délicat, que la loi n'a pas à s'en préoccuper. Ce serait au ministre seul de juger, comme il le fait pour l'enseigne­ment secondaire, ce que les convenances exi­gent et ce qu'elles permettent. »
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Il m'est pénible de voir un ancien adminis­trateur du Collège de France, un homme qui a montré un si généreux souci de son indépen­dance et de sa dignité de professeur, faire si bon marché des immunités de ses anciens col­lègues (Vive approbation à droite.), et subor­donner ainsi le peu qui reste de l'inamovibilité du titulaire de l'enseignement supérieur à un sentiment des convenances dont M. le ministre serait seul juge. (Très-bien! à droite.) Mais cette appréciation me paraît sans valeur à côté de ce vrai langage de ministre que j'ai trouvé dans la déclaration dont j'ai fait la lec­ture tout à l'heure. (Approbation sur les mê­mes bancs.)
Non, un ministre de l'instruction publique ne peut pas plus ôter un professeur de sa chaire, qu'il ne peut l'y nommer de lui-même. Est-ce que si je venais à déplaire à un ministre de l'instruction publique...
M. le baron de Lareinty, et plusieurs sé­nateurs à droite. Vous pouvez être certain que vous lui déplaisez en ce moment-ci ; d'ailleurs vous n'êtes pas le seul.
M. Wallon. ... est-ce que ce ministre se croirait le droit de m'enlever de ma chaire de Paris pour m'envoyer, par exemple, professer l'histoire à Aix ou à Dijon?
M. le ministre. Ce serait un emploi infé­rieur.
M. Wallon. Il n'y a pas de distinction de
classe entre les professeurs des facultés de Paris et ceux de province. Les professeurs des fa­cultés de Paris ont un traitement plus fort, mais ils n'ont pas plus de droits que les pro­fesseurs de province. Et les professeurs de pro­vince ont le droit que nous prétendons avoir à Paris de rester dans nos chaires tant que nous ne sommes pas régulièrement destitués. (Très-bien ! à droite.)
J'affirme donc jusqu'à preuve contraire, et on ne me fera pas la preuve contraire...
Un sénateur à gauche. C'est à vous à la faire !
M. Wallon. ... que l'Université n'a pas à se plaindre de l'ancien conseil dans le passé. (Interruptions à gauche.)
Et comment aurait-elle à s'en plaindre dans l'avenir, si on le maintenait dans les condi­tions de l'ancienne loi? Car en vérité je puis dire au Gouvernement : Vous ne tenez pas pour suspects l'Institut, ni les délégués du conseil de commerce, ni les délégués de la guerre et de la marine — c'est vous, — ni les délégués du conseil d'Etat ou de la cour de cassation.
Le conseil d'Etat, vous l'avez renouvelé, même plus que vous ne l'auriez voulu. (Appro­bation et rires à droite.)
La cour de cassation s'est toujours fait re­présenter par son premier président et par son procureur général. Or, le premier président
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formes les plus sages et les plus mûres dans l'opinion publique. »
Est-ce le vers latin qui attire sur l'ancien conseil ces anathèmes ? La circulaire de mon honorable collègue et ami M. Jules Simon, du 22 septembre 1872, a de très-bonnes choses. Mais les meilleures choses ont besoin, pour produire tout leur fruit, d'être placées dans un milieu bien préparé. La réforme de M. Jules Simon avait six ou huit mois de date lorsque le conseil s'est réuni, et l'expérience, il faut bien le dire, n'en avait pas été heureuse.
M. Jules Simon. Parce qu'on ne l'a pas faite.
M. Wallon. On avait voulu...
M. Jules Simon. Soyez sûr qu'elle eût été très-heureuse si l'on avait fait ce que l'on a fait depuis.
M. Wallon. On avait voulu réduire le tra­vail écrit des élèves afin de leur donner plus de temps pour lire et méditer. Qu'est-il arrivé? Les élèves écrivaient e*dtss, lisaient peu et mé­ditaient moins encore. (Rires et approbation à droite.) Les maîtres d'études étaient sur les dents; les proviseurs réclamaient de toutes parts. (Interruptions.)
Un sénateur à gauche. C'est la meilleure chose qu'on ait faite pour l'instruction.
Plusieurs sénateurs à droite. Parlez ! parlez I
M. Wallon. Avant de blâmer la résolution du conseil sur cette matière, il faudrait lire le
est un homme qui, par son origine même, es au-dessus de nos divisions de parti. Il a été nommé par M. Martel, garde des sceaux, M. Jules Simon étant président du conseil des ministres. Le procureur général est un des vôtres, c'est un des nôtres, un universitaire qui apporte dans ces hautes fonctions l'expé­rience et la science d'un long professorat.
Quant aux évoques, mais c'est vous, Gou­vernement, qui devriez tenir à garder les évo­ques dans les conseils, et précisément pour les raisons que plusieurs orateurs catholiques avaient autrefois données pour les dissuader d'y entrer.
Rien donc n'est à craindre du conseil dans l'avenir, comme il n'y a rien dont on puisse lui faire un crime dans le passé en ce qui tou­che l'Université.
Je relève cependant, dans l'exposé des motifs du ministre au Sénat, un reproche : c'est ce­lui d'immobilité. « Le vice radical de ces as­semblées, dit-il, c'est l'immobilité. »
Je conviens que nulle réforme, digne de faire époque, ne peut être citée pendant cette période de six ans du conseil ; car je n'attache pas plus d'importance qu'il ne faut à la ré­forme du baccalauréat. Mais je ne puis pas souscrire à ces paroles du ministre : « Ces grands corps se sont plus préoccupés de dé­fendre le passé que de préparer l'avenir, et on les a trouvés trop souvent réfractaires aux ré-
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rapport si plein de tact et de convenance de mon très-éminent prédécesseur dans le déca-nat de la faculté des lettres de Paris, M. Pa­tin. Je dis plein de tact et de convenance, et je n'étonnerai personne, car c'étaient là sur­tout les qualités de ce rare esprit. M. Patin, dans ce rapport, reconnaît ce qu'il y a de b!en dans la réforme de M. Jules Simon, il signale ce en quoi elle n'a pas réussi, ce qu'il y aurait peut-être à faire pour qu'elle réussisse davan­tage.
Ce rapport fait honneur non pas seulement à lui, mais au conseil aussi qui l'a adopté. Si l'on veut revenir à ces réformes, je crois qu'il faudra commencer par préparer le terrain par des changements dans le régime des salles d'études et dans le casernement des élèves ; car, je le répète, les meilleures choses ont besoin d'un bon milieu pour produire tout ce qu'elles doivent donner. (Marques d'assen­timent à droite.)
Laissant de côté cette question, je recon­nais que le conseil n'a produit que peu d'inno­vations et peu de réformes, mais à qui s'en prendre ? Je dis d'abord : « Aux ministres, et je me comprends parmi eux. » Seulement je me défendrai si je suis personnellement atta­qué. Je dis donc d'abord : aux ministres, car c'est une grande erreur que de croire que le conseil puisse tout faire, et mon honorable col­lègue et ami M. Laboulaye l'a parfaitement
démontré dans une brochure qui est la meil­leure introduction au débat qui s'ouvre au­jourd'hui. (Très-bien! très-bien! à droite.)
Le conseil n'a pas l'initiative, c'est au mi­nistre seul qu'elle appartient; c'est donc au ministre à inviter le conseil à lui soumettre un projet sur telle question qu'il lui pose, ou à donner son avis sur tel projet qu'il peut faire préparer lui-même dans les commissions nom­mées en dehors à l'aide des professeurs, des savants, des hommes de lettres et des adminis­trateurs en si grand nombre qui sont tout prêts à lui donner leur concours.
C'est donc aux ministres tout d'abord qu'il faut s'en prendre si le conseil n'a pas produit tout ce qu'on en attendait, mais je dis de plus : c'est aussi à la loi de 1873 telle qu'elle est sor­tie des délibérations de l'Assemblée nationale. Il y avait dans la proposition que la commis­sion avait apportée à l'Assemblée quelque chose qui n'est pas resté dans la loi — c'est la section permanente du conseil; et ici je ne suis plus de l'avis de mon honorable collègue M. Laboulaye, qui paraît regretter peu la section permanente. Cette section se composait d'uni­versitaires et elle eût été, on peut le dire, l'u­rne du conseil. — Mais comment devait-elle être nommée? Le ministre demandait que ce fût par lui ; la commission, que ce fût par le conseil. Le ministre avait raison; mais la commission ne voulut pas avoir tort ; et l'on
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ne s'entendit que sur un point : c'est que la section ne serait nommée ni par le ministre ni par le conseil; on la supprima.
C'est un compromis extrêmement regrettable. La section permanente n'eût pas été un em­barras pour le ministre, car, en définitive, elle n'a qu'un avis à donner, et elle aurait été une grande force et une grande lumière pour le conseil, en continuant ses travaux, dans l'in­tervalle des sessions et en lui apportant, au retour, de précieux éléments de discussion.
Cette section permanente, qui n'existait pas au dernier conseil, M. le ministre l'a rétablie dans le sien et je l'en félicite de tout mon cœur. (Très-bien ! à gauche.) Je crois qu'il en reti­rera le plus grand profit. (Nouvelle approba­tion à gauche.)
Cette section apportera au conseil tous les avantages que l'honorable M. Bardoux avait cherchés dans sa combinaison de deux con­seils, sans avoir les inconvénients de cette dualité. J'approuve donc entièrement le projet sur ce point. Et pour résumer ce trop long discours...
Voix nombreuses à droite. Mais non! mais nonl Parlez!..,
M. "Wallon.....à mon avis, il faut donc
rétablir la section permanente, comme M. le ministre le demande; mais ensuite je crois qu'il faut maintenir la composition de l'ancien conseil préférablement à celle du nouveau.
Le conseil a une double mission : il a une mission pédagogique et une mission judiciaire. Au point de vue pédagogique, — et c'est celui qui a le plus particulièrement frappé M. le mi­nistre, —je crois que l'ancien conseil ne le cède pas au nouveau. Je vous avoue que je suis beaucoup plus touché de la suppression des éminents professeurs de l'Institut dont je vous citais les noms tout à l'heure que de l'adjonc­tion d'un professeur de chinois ou de tout autre.
Mais, je l'ai dit, la mission du conseil n'est pas seulement pédagogique, elle est judiciaire. Sa juridiction s'étend et sur les écoles de l'Etat et sur les écoles libres. Pour les écoles de l'Etat, répugne-t-on à faire juger les universitaires par d'autres que par les membres de l'Univer­sité ? Quant à moi, universitaire, je ne crain­drais pas du tout de voir siéger à côté de mes pairs les membres de la cour de cassation, du conseil d'Etat, même les évoques...
M. le général Guillemaut. Pas du tout ! Dans l'église, bien.
M. Wallon ... car en matière disciplinaire les évêques inclinent beaucoup plus à l'indul­gence qu'à la rigueur.
Mais pour les écoles libres, voulez-vous qu'un conseil entièrement composé d'universitaires en soit le juge ? Je déclare, quant à moi, que je ne redoute pas du tout qu'ils usent de par­tialité à leur égard. Je suis parfaitement assu-
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ré qu'ils jugeront sans acception de personnes. Mais enfin leur situation sera très-délicate. Le conseil a à se prononcer-sur le sort des écoles et des maîtres. Il peut sans appel fer­mer des établissements ou empêcher qu'on les ouvre ; il peut interdire les professeurs libres ; il peut leur ôter le droit d'enseigner même à toujours. Eh bien, je dis que dans ces condi-tions-là on ne peut pas remettre le jugement à un conseil purement composé de professeurs de l'Etat, non pas, je le répète, qu'on ait le droit de les suspecter, mais parce qu'ils ont contre eux les apparences.
Un tribunal dans ces conditions-là se récuse toujours... (Très-bien! très-bien! à droite.), je ne veux pas placer le conseil dans une situation telle, qu'il doive se récuser dans la plupart des cas. (Nouvelles marques d'approba­tion sur les mêmes bancs.)
Tout en rendant hommage aux sentiments de respect que notre honorable rapporteur té­moigne, dans la dernière partie de son rap­port, pour la religion et pour ses ministres, j'ai le regret de ne pas pouvoir partager ses conclusions, et je ne partage pas davantage ses illusions.
Si M. le rapporteur avait été moins dominé, dirai-je moins obsédé, moins possédé ? — car c'est une obsession et presque une posses­sion, — par ce fantôme d'une conspiration ourdie, depuis cinquante ans, dans le mystère
et dans l'ombre, par une main qui n'est pas une main d'homme, pour aboutir à la création du dernier conseil, à cette loi du 19 mars 1873, signée par M. Thiers et contresignée par M. Jules Simon, peut être aurait-il exa­miné un peu plus à loisir les rouages et le mécanisme du conseil projeté, et alors, sans doute, il se serait demandé si ceux qui en ont suggéré le plan au ministre sont les plus sûrs, les plus vrais et les plus clairvoyants amis de l'Université. (Très-bien ! très-bien ! et applau­dissements à droite.)
(L'orateur, en retournant à son banc, reçoit les félicitations d'un grand nombre de ses col­lègues.)
Pans. — iiup. a. Witteréheim et o, quai Voltaire, 31